Des restrictions liées à la COVID-19 aux nouvelles normes : stratégies innovantes pour rétablir la confiance envers les transports en commun
Au cœur d’un milieu de vie durable, les transports en commun procurent de nombreux bénéfices, dont la réduction de la congestion, des émissions de carbone et de la pollution de l’air, en plus d’offrir à beaucoup de gens un accès sûr, équitable et économique aux services essentiels, aux lieux de travail ou de loisir et aux ressources communautaires. La pandémie de COVID-19 a bouleversé notre utilisation : le confinement a mené au télétravail et au téléapprentissage, des réalités qui, conjuguées à la crainte de transmission virale dans les véhicules fermés partagés avec des étrangers, ont fait chuter de façon considérable le taux d’utilisation des transports en commun. Par exemple, de 2019 à 2020, l’achalandage global du TransLink de Vancouver a chuté de 52 %, et celui du réseau de la TTC de Toronto, de 57,2 %. Cette baisse a fait fondre les revenus finançant l’exploitation des réseaux de transport en commun. Des usagers sondés aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande ont dit estimer que les transports en commun étaient extrêmement dangereux en contexte pandémique, et une proportion importante d’anciens usagers ont indiqué qu’ils y recourraient moins souvent qu’auparavant, voire plus du tout.
Au début de la pandémie, la diminution de la circulation a entraîné une baisse naturelle de la pollution de l’air et des émissions des véhicules, mais au fil du temps, beaucoup de gens sont passés à des véhicules privés à des fins utilitaires ou récréatives. De plus, l’amélioration et l’expansion des réseaux de voies cyclables en ont convaincu d’autres de passer au vélo. Quant aux personnes qui n’avaient pas les moyens de se payer un véhicule privé, surtout les petits salariés, les travailleurs essentiels et les membres de minorités, elles ont continué d’utiliser les transports en commun. Dans le Grand Vancouver, la commission de transport a rapporté qu’en avril 2021, le taux d’utilisation des transports en commun était resté stable à 40 % du niveau prépandémie, tandis que la circulation automobile sur les ponts intermunicipaux avait grimpé à 90 % du niveau prépandémie, malgré le maintien des restrictions liées à la COVID-19. Les participants à un sondage mené en Allemagne en période de confinement se sont dits plus favorables qu’auparavant à la voiture privée par rapport aux transports en commun.
Ces changements d’habitudes de déplacement sont alarmants, car l’augmentation du recours aux véhicules privés nuit à la viabilité des réseaux de transport en commun et a des conséquences environnementales et climatiques désastreuses. À l’heure où les taux de vaccination augmentent et où les villes et les régions assouplissent les restrictions sanitaires, à l’échelle mondiale, les responsables des réseaux de transport en commun cherchent à se doter de stratégies permettant de restaurer la confiance du public quant à la sécurité pour faire augmenter le nombre d’usagers. Les réseaux doivent aller chercher non pas que d’anciens usagers, mais aussi des nouveaux, pour remplacer ceux qui sont passés définitivement au télétravail ou au téléapprentissage.
Risque de transmission virale dans les espaces clos des transports en commun
Pour mieux savoir comment rendre sûrs les véhicules de transport en commun et atténuer la perception du risque de transmission virale, il convient d’examiner les résultats de recherche et les données épidémiologiques sur les voies de transmission et les risques réels de transmission dans les espaces clos des transports en commun.
Des cas de transmission dans ce type d’espace ont été révélés par des études sur le virus de la grippe, le SARS-CoV et le MERS-CoV dans les transports aérien, terrestre et maritime. Comme pour le SARS-CoV-2, la propagation est associée à la proximité entre la personne assise et le cas index et au temps passé au même endroit. Il importe de noter que le virus de la grippe, le SARS-CoV et le MERS-CoV ne se transmettent pas forcément de la même façon que le SARS-CoV-2. D’après une étude réalisée en Chine sur le taux d’attaque chez 3 410 contacts étroits de 391 cas index de COVID-19, ce taux était beaucoup plus élevé dans les habitations (82,7 %) que dans les transports en commun (0,8 %). Comme le résume le tableau 1, deux éclosions de SARS-CoV-2 ont été documentées en Chine en 2020.
Tableau 1 : Éclosions documentées de SARS-CoV-2 en contexte de transport par autocar
Auteurs |
Nombre de cas |
Données épidémiologiques |
Mesures de contrôle de la transmission |
24 |
Un cas index a infecté 24 passagers d’un autocar au cours d’un déplacement de 100 minutes à destination d’une activité de culte bouddhiste. |
Aucune |
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8 |
Un cas index a infecté 8 passagers d’un autocar durant un trajet de quatre heures. |
Aucune |
À noter que ces éclosions documentées en Chine sont survenues en début de pandémie, avant l’instauration de mesures de confinement et de contrôle de la transmission. Suivant l’évolution de la pandémie, les organismes de transport en commun des grandes villes du monde sont rapidement intervenus pour réduire la transmission. En Italie, une étude visant à déceler la présence d’ARN du SARS-CoV-2 dans l’air et sur les surfaces d’une ligne de trolleybus achalandée a été lancée vers la fin du confinement national, après la prise d’une série de mesures antipropagation (p. ex., réduction de la capacité, distanciation physique, hygiène des mains, obligation de porter un masque, augmentation de la ventilation, nettoyage et désinfection fréquents). Quelque 1 100 passagers ont pris le trolleybus sur la période étudiée. Aucune trace d’ARN du SARS-CoV-2 n’a été décelée dans les échantillons d’air ou de surface. Il n’était pas possible de vérifier l’infectiosité ou la présence de la maladie chez les passagers, mais les chercheurs ont estimé à 37 le nombre potentiel de passagers infectés asymptomatiques sur la période étudiée.
En revanche, l’équipe d’une étude espagnole a trouvé des traces d’ARN du SARS-CoV-2 dans des échantillons de surfaces, d’air et de filtres de climatiseur d’autobus et de trains avant leur nettoyage et leur traitement à l’ozone. Bien que la détection de son ARN ne permette pas de présumer de l’infectiosité, les résultats indiquent que le virus a été présent sur les surfaces ou dans l’air d’autobus ou de trains, une raison de plus d’agir pour réduire au minimum le risque de transmission. Nombre d’études montrent que des interventions adéquates peuvent freiner la propagation du SARS-CoV-2 dans les transports en commun. En effet, une étude de modélisation du risque d’infection virale par voie aérienne en transport ferroviaire a établi que l’utilisation de masques chirurgicaux et l’augmentation de la ventilation dans les voitures réduisaient le risque de transmission de maladies.
Outre les éclosions en sol chinois, peu de données épidémiologiques établissent des liens entre les transports en commun et les cas de COVID-19. Une revue d’études a révélé que le risque de contracter la COVID-19 dans les transports en commun était faible et que ce risque était atténué par les mesures de contrôle de la transmission. Selon une analyse de données concernant plusieurs villes, la transmission communautaire et le nombre de cas de COVID-19 ne semblent pas corrélés avec le taux d’utilisation des transports en commun. En outre, plusieurs facteurs peuvent influer sur le faible risque de transmission dans les transports en commun lorsque sont en place des mesures de contrôle comme l’augmentation de la ventilation (ouverture de fenêtres et de portes), la réduction des conversations, le raccourcissement des trajets et la sensibilisation au fait d’occuper un espace clos, qui encourage les usagers à se placer loin des autres. S’il peut être difficile de retracer les cas de COVID-19 attribués au mode de déplacement et aux transports en commun, les cas semblent plus souvent liés à des contextes autres que celui des transports en commun.
Stratégies possibles pour améliorer les transports en commun et faire remonter le taux d’utilisation après la pandémie
Vu le peu de données probantes quant à un lien entre la transmission du SARS-CoV-2 et les espaces clos des transports en commun, les responsables des réseaux doivent tout de suite envisager des stratégies novatrices pour restaurer la confiance du public afin que le nombre d’usagers remonte à mesure que les restrictions sanitaires seront levées dans les villes. Il y a là une occasion d’améliorer les réseaux non seulement pour ramener les anciens usagers, mais aussi pour aller en chercher de nouveaux et faire valoir la multiplicité des retombées sociales des transports en commun. Ces stratégies renforceront d’ailleurs la résilience des réseaux et leur préparation aux crises futures.
Les stratégies suivantes ont été sélectionnées dans la littérature en fonction de la faisabilité et de la facilité d’application relative en vue d’une remontée à court ou moyen terme du nombre d’usagers.
Lutter adéquatement contre la propagation des maladies
Les interventions peuvent différer selon le mode de transport en commun, mais plusieurs mesures peuvent être combinées (p. ex., distanciation physique, contrôle des foules, ventilation, hygiène des mains, masques, barrières physiques, désinfection de l’air et des surfaces). Le SARS-CoV-2 se propageant surtout par les gouttelettes et les aérosols, et dans une moindre mesure, par les surfaces, il y a lieu d’agir en priorité pour réduire l’exposition aux gouttelettes et aux aérosols émis par autrui. On pourrait aussi envisager des reconfigurations ou des modifications physiques (p. ex., marquage au sol, signalisation, couloirs à sens unique) des installations de transport pour réduire l’entassement et encourager les bons comportements. En augmentant la fréquence de passage ou le nombre de voitures de train, on peut faciliter la distanciation physique dans les espaces clos.
Communiquer de façon active et transparente
Les autorités sanitaires et les organismes de transport en commun feraient bien de songer à informer la population du faible risque de transmission du SARS-CoV-2 dans les véhicules de transport en commun à l’aide de campagnes dans divers médias, dont des communications visuelles sur les mesures prises pour contrôler les risques et faire appliquer les règles. Il convient que les informations reposent sur des données probantes et soient axées sur la clientèle et facilement accessibles par de multiples canaux (p. ex., médias sociaux, courriel, clavardage, téléphone, messagerie instantanée). Les organismes de transport en commun ont agi pour éliminer les dangers, mais pour restaurer la confiance du public, ils devront amener ce dernier à partager sa perception. Certaines villes ont commencé à effectuer les activités d’assainissement et d’hygiène des trains et des gares en public plutôt que dans des dépôts de maintenance, pour rendre plus visibles les mesures de propreté et de sécurité. Pour rétablir la confiance, les réseaux pourraient installer des panneaux encourageant le respect des règles ou rappelant aux usagers les précautions à prendre. L’American Public Transportation Association a réuni dans une trousse des exemples de documents de communication dont peuvent se servir les organismes de transport en commun.
Envisager de nouvelles technologies pour réduire l’entassement
Les boîtes de perception, les guichets et les distributrices peuvent former des goulots d’étranglement et favoriser l’entassement. La perception électronique, sans contact ou en ligne encourage la distanciation physique à ces endroits et est pratique pour les usagers. Par ailleurs, grâce à de nouvelles technologies, les usagers peuvent voir en temps réel la capacité et l’heure d’arrivée des autobus ou des trains et, ainsi informés sur l’achalandage, décider de monter à bord ou d’attendre le prochain véhicule.
Réduire la durée des déplacements en aménageant des voies pour autobus temporaires ou permanentes
L’aménagement de voies pour autobus temporaires ou permanentes augmente l’efficacité, la fréquence et la capacité. S’il est combiné à des analyses d’achalandage visant à déterminer les parcours et les heures où la demande est la plus forte, il peut réduire l’entassement dans les autobus. Des améliorations de la commodité et de l’efficacité pourraient encourager les clients à préférer les transports en commun aux véhicules privés.
Arrimer le transport actif à la mobilité partagée
Durant la pandémie, comme les gens délaissaient les transports en commun, les modes de transport actif comme le vélo et la marche ont connu une croissance exponentielle. Par conséquent, bien des villes ont aménagé des voies cyclables temporaires ou permanentes ou limité l’accès des automobiles à certaines artères pour encourager l’usage du vélo, et d’autres ont investi dans des infrastructures piétonnières pour désengorger les voies de circulation et favoriser la marche. À noter que les investissements dans le transport actif ont des effets positifs à la fois sur la mobilité urbaine, les habitudes de vie et la santé de la population. Pour que le transport actif demeure attrayant après la pandémie, on pourrait, par exemple, aménager des installations pour cyclistes aux stations de transport en commun ou veiller à un arrimage accessible et favorable aux piétons entre les gares de train, les arrêts d’autobus et les gares d’autocars. La mise en place de programmes de partage de vélos, de scouteurs ou de voitures intégrés aux systèmes de paiement des titres peut venir compléter les services de transport en commun et ajoute des options de mobilité, ce qui peut encourager le recours aux transports en commun.
Proposer des encouragements financiers
Dans le cadre des mesures de contrôle de la transmission instaurées en début de pandémie, beaucoup de réseaux ont décidé de faire entrer les passagers par la porte arrière et de renoncer temporairement aux droits de transport pour protéger les chauffeurs et éviter les bouchons aux points de perception. Pour faire revenir les anciens usagers ou en attirer de nouveaux, il pourrait être utile de proposer des encouragements financiers, comme des baisses globales de tarifs ou des rabais ciblant des groupes de la population. On pourrait aussi former des partenariats avec des organismes locaux pour inclure des titres de transport dans des forfaits de programmes, de services ou d’événements, lorsque ceux-ci reprendront. Autres idées : collaborer avec les employeurs pour qu’ils offrent des laissez-passer annuels à prix réduit à leurs employés ou demander aux gouvernements d’accorder des déductions fiscales sur ce type de titre.
Conclusion
La pandémie de COVID-19 a exercé des pressions énormes sur les organismes de transport en commun et les autorités sanitaires, qui ont dû intervenir rapidement pour contrôler la transmission du SARS-CoV-2 dans les collectivités. On peut se désoler que soient ainsi effacées des années d’efforts de promotion des transports en commun en tant que vecteur essentiel de vitalité des milieux, de santé et de résilience climatique, mais si les bons moyens sont pris, les usagers reviendront. Il y aurait lieu de cerner les lacunes dans la préparation des réseaux de transport en commun à long terme aux pandémies et aux crises et d’élaborer des stratégies pour améliorer leur résilience. Après la pandémie, l’adoption de nouvelles normes dans la société passera en partie par les transports en commun. Pour qu’elle ait lieu, il sera primordial de connaître les besoins, préférences et habitudes de déplacement des passagers et de s’y adapter.