Faire face au changement climatique en tant que professionnels de la santé publique
Même si la COVID-19 va continuer de réclamer l’attention des professionnels de la santé publique, nous ne pouvons ignorer la crise sanitaire que fait planer sur nous le changement climatique.
En 2016, la directrice générale de l’Organisation mondiale de la Santé a déclaré que le changement climatique constituait « l’enjeu majeur du XXIe siècle » en matière de santé publique. À l’échelle mondiale, cet enjeu menace déjà la santé de centaines de millions de personnes chaque année en raison des phénomènes météorologiques extrêmes, des inondations, des vagues de chaleur, des maladies infectieuses et de la hausse de la sous-alimentation et de la malnutrition qu’il provoque. Selon le Rapport 2018 du Compte à rebours sur la santé et le changement climatique du Lancet, en 2017 :
- 157 millions de personnes de plus qu’en 2000 ont été exposées à des vagues de chaleur;
- 62 milliards d’heures de travail de plus qu’en 2000 ont été perdues à cause des fortes chaleurs;
- 712 phénomènes météorologiques extrêmes ont entraîné des pertes financières de 326 milliards de dollars américains – soit près de trois fois plus qu’en 2016;
- le taux de maladies transmises par des insectes et des animaux a augmenté en Afrique;
- une tendance à la baisse des rendements agricoles a été observée dans 30 pays.
Sachant que ces problèmes sanitaires surviennent alors que le réchauffement planétaire actuel est de 1 °C, il est inquiétant de savoir que le réchauffement devrait atteindre 1,5 à 2 °C entre 2030 et 2052 si nous continuons d’émettre le même volume de gaz à effet de serre qu’aujourd’hui. Dans son évaluation des effets d’un réchauffement de 1,5 et de 2 °C, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a brossé un portrait catastrophique d’un réchauffement de 2 °C pour les écosystèmes ainsi que pour la santé et les sociétés humaines. Il a notamment estimé qu’un réchauffement de 2 °C au lieu de 1,5 °C plongerait dans la pauvreté plusieurs centaines de millions de personnes supplémentaires en 2050.
Le changement climatique touche également les Canadiens
Au Canada, si les effets du changement climatique sur la santé sont moindres par rapport à de nombreux autres pays grâce à notre géographie et à nos infrastructures de santé publique bien développées, nous ne sommes pas épargnés pour autant. Le changement climatique nuit déjà à la santé physique et mentale des Canadiens en raison de la fréquence et de l’intensité accrues des vagues de chaleur, des feux de forêt, des inondations et des ouragans, de la fonte du pergélisol, de la hausse du niveau des océans sur les trois côtes et des changements dans la portée des maladies à transmission vectorielle.
Par exemple, en 2018 :
- Des avertissements de chaleur ont été adressés à des millions de Canadiens de l’île de Vancouver à Terre-Neuve-et-Labrador (certaines régions ayant atteint un humidex d’environ 45);
- Dans le centre-ville de Toronto, les températures maximales ont atteint ou dépassé 30 °C durant 21 jours, une durée nettement supérieure à la moyenne sur 30 ans de 12,2 jours par an qui prévalait jusqu’à 2005;
- Au Québec, la seule province à avoir mesuré en temps réel le nombre de décès dus à la chaleur, les vagues de forte chaleur ont coûté la vie à 66 personnes;
- Le gouvernement de la Colombie-Britannique a déclaré l’état d’urgence provincial quand il a dû contenir près de 600 feux de forêt en même temps;
- À cause de la fumée des feux de forêt de la Colombie-Britannique, des millions d’habitants de Vancouver, Calgary et Edmonton ont été exposés pendant plusieurs jours à une pollution de l’air dont le risque a été jugé « élevé » à « très élevé »;
- Des inondations en Colombie-Britannique ont forcé l’évacuation de 5 000 résidents;
- À la suite d’une crue éclair, la rivière Saint-Jean au Nouveau-Brunswick s’est remplie d’eaux usées brutes et d’animaux noyés et a détruit plus de 150 routes, ponts et ponceaux;
- Une tempête de verglas dans le centre du Canada a privé d’électricité 500 000 personnes en Ontario et 100 000 personnes au Québec.
Chacun de ces événements a mis en péril la santé des Canadiens. Les vagues de chaleur extrême peuvent provoquer un épuisement, une crise cardiaque ou même la mort, en particulier chez les personnes âgées, atteintes d’une maladie chronique, socialement isolées ou n’ayant pas accès à un endroit frais. L’exposition à la fumée de feux de forêt a été associée à des effets respiratoires aigus et à des décès prématurés. Les évacuations d’urgence et les déplacements de population s’accompagnent de traumatismes et de troubles de stress post-traumatique.
La santé des Canadiens est également menacée par d’autres types de changement climatique. La fonte du pergélisol et l’instabilité des routes de glace peuvent accroître l’insécurité alimentaire dans le Nord du Canada en raison du déclin des sources d’alimentation traditionnelle. Par ailleurs, on trouve désormais dans cinq provinces des conditions climatiques propices à la maladie de Lyme, une affection neurologique transmise par les tiques. On s’attend également à ce que la durée et l’intensité accrues de la saison pollinique aggravent le rhume des foins et l’asthme.
Même si tout le monde est concerné, le changement climatique touchera de manière disproportionnée les personnes qui subissent déjà des inégalités en matière de santé. Les populations autochtones, les minorités ethniques, les personnes ayant une maladie chronique ou un handicap et les personnes à faible revenu, dont les risques de conséquences néfastes sur la santé sont déjà plus importants que le reste de la population canadienne, sont plus susceptibles d’être touchées par les vagues de forte chaleur, l’insécurité alimentaire, les inondations et d’autres risques sanitaires liés au climat.
Cette année, la gestion des risques sanitaires liés au changement climatique se trouvera complexifiée par la nécessité de protéger la population contre la COVID-19. En effet, la hausse de la pollution atmosphérique due aux feux de forêt est susceptible d’exacerber les risques liés à la COVID-19. En outre, il faudra tenir compte des risques de propagation du virus lorsqu’on évacuera les victimes d’inondations et de feux de forêt et lorsqu’on offrira des programmes de protection contre les chaleurs accablantes.
Nous devons agir vite
Le temps manque pour éviter les effets les plus graves du changement climatique. Selon le GIEC, nous devons collectivement atteindre la carboneutralité d’ici 2050 pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C. Or, nous n’atteindrons cet objectif qu’en prenant des mesures draconiennes de réduction rapide des émissions. Cela nécessitera une profonde transformation de notre économie, de nos collectivités et de nos politiques publiques afin d’abandonner la production et l’utilisation des combustibles fossiles comme le charbon, le pétrole et le gaz naturel. En tant que pays riche et puisqu’il fait partie des dix principaux émetteurs de gaz à effet de serre, le Canada se doit d’agir vite pour protéger les pays les plus touchés par le changement climatique.
Notre expérience avec la COVID-19 a montré que nous étions capables de réagir courageusement et rapidement lorsque la nécessité l’exige. Elle a également mis en relief les nombreux problèmes systémiques qui entraînent des inégalités en matière de santé dans notre société. Beaucoup espèrent que les investissements nécessaires à la reconstruction de notre économie après le confinement serviront à bâtir une société plus équitable et plus durable.
Les professionnels de la santé publique ont un important rôle à jouer
La bonne nouvelle, c’est que bon nombre des mesures requises pour limiter le changement climatique (par exemple, investir dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, le transport actif et l’agriculture durable) peuvent avoir de grands effets bénéfiques presque immédiats sur la santé des Canadiens en réduisant la pollution de l’air, en augmentant l’activité physique, en encourageant les régimes sains et en favorisant l’équité sociale et la santé mentale dans nos collectivités.
En outre, certaines des mesures nécessaires au renforcement de la résilience de nos collectivités face au changement climatique et aux autres perturbations, comme l’ajout d’arbres, d’espaces verts et de voies cyclables dans les centres urbains, sont susceptibles d’améliorer la santé publique.
Les professionnels de la santé publique sont bien placés pour promouvoir des solutions climatiques et favoriser la résilience des collectivités d’une manière qui répond aux besoins des personnes vulnérables et des personnes à faible revenu, et ce, pour plusieurs raisons :
- les avantages connexes pour la santé sont des arguments convaincants pour le public et les décideurs[1];
- nombre d’entre eux entretiennent des relations de travail avec le personnel municipal et provincial responsable de la planification de l’alimentation en électricité, des collectivités et des systèmes de transport;
- nombre d’entre eux ont une expertise et un réseau local bien développés qui peuvent servir à mobiliser le public sur ces enjeux.
Le 25 juin 2020 à 15 h (HAE), le Centre de collaboration nationale en santé environnementale tiendra un webinaire intitulé Faire face au changement climatique en tant que professionnels de la santé publique, dans lequel je résumerai les risques sanitaires liés au changement climatique, je présenterai la boîte à outils sur les changements climatiques pour les professionnels de la santé que j’ai conçue pour l’Association canadienne des médecins pour l’environnement (ACME) et je parlerai des façons dont les professionnels de la santé publique peuvent prendre part à ce mouvement de transformation.
Biographie
Titulaire d’une maîtrise en sciences de la santé, Kim Perrotta traite depuis 35 ans des enjeux environnementaux sous l’angle de la santé pour des organismes comme le Bureau de santé publique de Toronto, l’Association pour la santé publique de l’Ontario et l’initiative Bâtir un Canada en santé du projet COALITION. Directrice générale de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement de 2015 à 2019, où elle a conçu et amélioré la boîte à outils de 240 pages sur les changements climatiques pour les professionnels de la santé, elle est aujourd’hui directrice générale d’un nouvel organisme sans but lucratif dirigé par des professionnels de la santé publique : le Creating Healthy and Sustainable Environments (CHASE).
Déclaration : Je n’ai aucun intérêt commercial ou financier constituant un conflit d’intérêts pour le présent article.
[1]Comeau, Louise et Eric Lachappelle. 2018. Framing the transition to renewable energy. In Panoramic Survey 2018: Analytical Briefing. Vancouver (Colombie-Britannique) : EcoAnalytics.