Les quatre piliers du logement et leur incidence sur la santé


Le logement est une source importante d’inégalités en matière de santé et de maintien de ces inégalités. Pourtant, notre domicile et nos quartiers ont aussi le pouvoir de favoriser la santé et l’épanouissement. Le 30 novembre 2022, le Centre de collaboration nationale en santé environnementale (CCNSE) a tenu un webinaire intitulé Le logement : un déterminant de l’équité en santé, présenté par Diana Hernández, Ph. D., et Carolyn Swope, M.P.H. L’événement d’une heure prévoyait une période de questions et présentait un modèle conceptuel holistique de l’incidence du logement sur les disparités en santé. Pour comprendre cette incidence, il faut tenir compte de tout l’éventail des risques, du fardeau cumulatif et des processus et politiques d’autrefois qui créent une inégalité des chances en logement. Le présent billet de blogue offre un sommaire des données probantes sur le logement et la santé et des solutions pour promouvoir l’équité en santé par l’intermédiaire du logement.
Les quatre piliers du logement et la santé
Modèle conceptuel du logement et des disparités en santé
Le lien entre le logement et la santé a été cruellement mis en évidence durant la pandémie de COVID-19. Les études continuent de montrer une association entre les conditions de vie et la transmission de maladies infectieuses. Parmi les causes figurent l’état de l’environnement intérieur, la possibilité d’accéder à un logement sûr et abordable, les facteurs de risque du quartier, comme le transport et les types de possibilités d’emploi. En effet, l’environnement physique et social de notre logement et de notre quartier peut être bénéfique – ou néfaste – pour notre santé de bien des façons et avec toutes sortes d’effets sur celle-ci et notre bien-être. Plus précisément, les facteurs liés au logement qui sont favorables à la santé peuvent être regroupés sous quatre piliers :
- L’état et la qualité des logements. Un logement ou un immeuble en mauvais état peut présenter des dangers, notamment pour la santé. Par exemple, il peut y avoir absence de confort thermique ou présence d’insectes et d’animaux nuisibles, d’humidité, de moisissure ou de matériel ou produits dangereux (plomb, amiante). L’eau n’est peut-être pas potable, la fumée secondaire circule, ou il y a des risques de blessure (absence de barreaux de sécurité aux fenêtres ou de détecteurs de fumée). Mis ensemble, ces problèmes peuvent provoquer des allergies, de l’asthme ou une dégradation de la santé mentale.
- L’abordabilité des logements. Le coût du logement ne comprend pas toujours que le prix du loyer ou les paiements hypothécaires. Il peut aussi comprendre les taxes foncières, les services d’eau et les services publics. Il existe un lien direct entre le fait de vivre dans un logement hors de prix et de constater une moins bonne qualité de vie – mauvaise santé autodéclarée, hypertension, arthrite et, sans surprise, problèmes de santé mentale. Les logements inabordables peuvent aussi avoir un effet indirect sur la santé en épuisant les ressources financières, qui pourraient autrement servir à acheter des aliments ou des médicaments, ou encore à obtenir des soins dentaires.
- La stabilité résidentielle. La stabilité résidentielle englobe la capacité des résidents et résidentes à continuer de vivre dans leur logement, si c’est ce qu’ils ou elles souhaitent, sans subir de harcèlement ni de dépossession. Ce concept va au-delà de la dichotomie avec ou sans logement et tient compte de toutes les situations possibles, comme le logement temporaire, le logement précaire, les déplacements forcés qui obligent de quitter son logement ou sa communauté en raison d’une expulsion, par exemple, le surpeuplement ou la cohabitation et les déménagements fréquents. En plus d’avoir des effets néfastes sur la santé mentale, les déplacements peuvent couper l’accès à des ressources favorables pour la santé, comme l’emploi, les soins de santé et le soutien social.
- Les conditions de vie dans le voisinage. L’emplacement du logement en soi a une incidence sur la santé des résidents et résidentes pour diverses raisons : l’infrastructure et la capacité de se déplacer à pied, l’accès à des ressources favorables pour la santé, comme des aliments sains, le fardeau environnemental, comme les installations polluantes, et les aspects sociaux, comme l’accès à des réseaux de soutien. Certains quartiers proposent un environnement sain où les ressources sont à distance de marche, où la végétation et les lieux ombragés sont abondants et nous protègent de la chaleur extrême et où de bons aliments sont faciles à trouver. Mais d’autres quartiers présentent un nombre disproportionné de dangers et trop peu de ressources favorables pour la santé. Par exemple, la présence de sources de polluants, comme les autoroutes et les usines, est importante, les commerces qui vendent des produits de tabac, de l’alcool et de la malbouffe sont nombreux, et les taux de violence sont élevés.
L’incidence de chacun des quatre piliers n’est pas cloisonnée; elle est souvent ressentie en tandem. Elle peut aussi interagir avec d’autres aspects de la vie des résidents et résidentes et ainsi nuire à leur santé. Les groupes marginalisés sont particulièrement susceptibles d’être vulnérables à au moins un des quatre piliers. Une même exposition n’aura pas le même effet sur tout le monde, parce que différents facteurs, comme l’étape de la vie et l’exposition au stress et à la discrimination, peuvent rendre les gens encore plus vulnérables et amplifier les problèmes liés au logement. D’ailleurs, la probabilité d’exposition à un logement malsain n’est pas aléatoire; c’est pourquoi une même personne peut cumuler de multiples expositions associées à plus d’un pilier. De plus, les gens qui ont peu de ressources risquent de faire des compromis pour assurer leur santé par rapport à l’un des piliers, mais en la sacrifiant par rapport à un autre. Par conséquent, l’incidence du logement sur la santé peut être amplifiée si elle se rattache à différents piliers et découle d’autres inégalités structurelles. Voilà pourquoi il est essentiel de tenir compte des piliers du logement dans leur contexte historique et social. Il faut savoir qu’apporter des changements à l’un d’eux peut créer des bouleversements dans un autre. Par exemple, en veillant à l’abordabilité des logements dans un quartier, on peut appauvrir l’accès aux services publics et y accroître la présence de dangers.
La création antérieure et la persistance d’inégalités en matière de logement
Les caractéristiques d’un logement ou d’un quartier ayant un effet bénéfique ou néfaste sur notre santé sont distribuées de façon inéquitable, et cette distribution ne survient pas naturellement. Plutôt, elle est attribuable à la création antérieure et à la persistance de pratiques qui excluent les personnes racisées et au renforcement de ces pratiques. Ces dernières empêchent les groupes marginalisés d’avoir le plein contrôle de leur choix de résidence et créent une ségrégation des espaces où les chances et les ressources sont inégales.
Par le passé, le contexte historique a mené à la création de systèmes de propriété stratifiés par des dimensions d’inégalité, comme la race et la classe, systèmes qui dévalorisaient les espaces où vivaient les personnes pauvres et les personnes qui n’étaient pas blanches. Souvent, ces personnes étaient déplacées au profit du redéveloppement. Au Canada, le parfait exemple de cette pratique a été la dépossession des peuples autochtones de leur territoire par le colonialisme, puis la création d’un système inéquitable de réserves. Par ailleurs, la discrimination raciale dans le logement est un problème qui existe depuis longtemps et qui se manifeste de différentes façons, notamment par le refus des propriétaires de louer à des personnes immigrantes ou issues de minorités raciales.
De nos jours, les disparités en matière de logement continuent d’être renforcées par des processus, comme l’embourgeoisement, l’expulsion, la discrimination et la modification des politiques gouvernementales sur le soutien au logement (p. ex., réduction des investissements, démolition de logements sociaux). D’ailleurs, les expulsions n’ont pas que des effets néfastes sur la santé (dépression, résultats négatifs à la naissance et bouleversement de l’accès aux soins de santé), elles créent aussi des disparités dans l’accès à des logements sains dans l’avenir, puisque les propriétaires refusent souvent de louer à quelqu’un qui a déjà fait l’objet d’une expulsion. Au Canada, les personnes autochtones (13 %) et les personnes noires (12 %) sont presque deux fois plus susceptibles d’avoir été expulsées de leur logement que les personnes ne faisant pas partie d’une minorité visible (7 %). Quant aux personnes immigrantes qui ne sont pas blanches et aux personnes réfugiées arrivées récemment au pays, elles aussi ont du mal à trouver un logement et à le garder. La cause donnée est souvent le pays d’origine, le statut d’immigration, l’ethnicité ou la race, de même que des problèmes d’abordabilité. Selon les études et toujours en matière de logement, les personnes autochtones ont subi de la discrimination par le passé et continuent d’en subir, une réalité qui entraîne un moins bon fonctionnement de leurs systèmes neuroendocrinien, cardiovasculaire, métabolique et immunitaire.
Comment les politiques et les processus en question en viennent-ils à avoir une incidence sur la santé? D’abord, en concentrant les populations marginalisées au même endroit, il est plus facile d’empêcher l’apport d’investissements et de ressources qui seraient bénéfiques pour leur communauté et, parallèlement, d’utiliser leur espace pour des projets polluants. Ensuite, en limitant de façon artificielle le nombre de logements auxquels les personnes racisées ont accès, on crée un isolement qui facilite la hausse du coût de location d’un logement de moins grande qualité. Enfin, en empêchant l’égalité des chances dans l’accès à la propriété, on crée un écart dans la distribution de la richesse qui limite davantage la capacité de se payer un logement sain dans des quartiers plus sains. On crée aussi des difficultés de nature socioéconomique qui nuisent à la santé.
Une vision qui perçoit le logement comme plateforme d’équité en santé
« En ce qui a trait au logement, l’équité en santé créerait des possibilités pour tout le monde, sans égard à la race ou à l’ethnicité, à la situation socioéconomique, à la composition du ménage et au code postal. Tout le monde profiterait des avancées dans la science du bâtiment, des pratiques d’entretien équitables, de la planification communautaire et de l’usage créatif des espaces prévu dans les programmes pour favoriser une culture axée sur la santé et les liens sociaux. » (Diana Hernández et Carolyn Swope, American Journal of Public Health, 2019)
Pour conclure, nous proposons une vision complète du logement sain qui étudie l’incidence du logement du point de vue historique et de la justice sociale, ce qui pourra contribuer à concevoir de meilleures politiques et interventions qui utilisent le logement pour promouvoir l’équité en santé.
Un logement favorable à la santé et au bien-être serait la norme – et non un luxe. Tout le monde aurait les moyens d’y vivre, quel que soit son salaire. Dans chaque logement, la qualité de l’air serait bonne, la ventilation, adéquate, et des politiques de milieu de vie sans fumée seraient en vigueur. Il n’y aurait aucun matériel ni produit toxique, aucune moisissure et aucune infestation. Il n’y aurait aucun risque de blessure non plus. Tous les logements seraient écoénergétiques, pour aider chaque personne à payer pour le chauffage, la climatisation et l’eau sans négliger les autres besoins liés à la santé. Les immeubles à logements proposeraient, entre autres, un espace vert, des lieux communautaires et des éléments de conception qui invitent les gens à bouger.
Par ailleurs, tous les quartiers veilleraient à ce que chaque résident et chaque résidente ait accès aux mêmes ressources favorables pour la santé, comme les parcs et les terrains de jeu, le transport en commun et la protection contre la chaleur extrême et les inondations. Aucun quartier ne présenterait un fardeau disproportionné de dangers pour la santé en raison de ses infrastructures et de la présence d’installations polluantes. Cette distribution plus équitable se ferait sans que les résidents et résidentes aient à subir un déracinement physique ou culturel.
Les professionnels de la santé publique environnementale (PSPE) sont en bien placés pour concrétiser cette vision en faisant connaître les quatre piliers au public et en militant pour la mise en application de lois provinciales en matière de santé publique. Grâce à ces mesures, les PSPE pourraient contribuer à la promotion et à la protection de la santé et de l’équité en logement pour tous et toutes.
Biographies des auteures
Carolyn Swope est étudiante au doctorat en urbanisme à l’Université Columbia et titulaire d’un diplôme de M.H.P. en sciences sociomédicales de la même université. Globalement, ses travaux portent sur la relation entre le logement et les disparités en santé, particulièrement sur les politiques de logement du passé qui ont mené aux iniquités actuelles en matière de logement. Elle rédige actuellement sa thèse, qui analyse l’influence du lien entre l’embourgeoisement et d’autres formes de dépossession racisée ainsi que l’effet de ce lien sur la santé des résidents noirs.
Diana Hernández, Ph. D., est professeure agrégée permanente de sciences sociomédicales à la Mailman School of Public Health de l’Université Columbia. Elle mène des recherches à l’intersection de l’énergie, de l’équité, du logement et de la santé. Sociologue de formation, elle s’intéresse aux déterminants sociaux et environnementaux de la santé et analyse les effets des politiques et des interventions fondées sur le contexte local sur la santé et le bien-être des populations socioéconomiquement défavorisées.
Liv Yoon, Ph. D., est professeure adjointe à l’école de kinésiologie de l’Université de la Colombie-Britannique, à Vancouver. Elle s’intéresse au lien entre les changements climatiques, les inégalités sociales et la santé. Ses travaux en cours portent sur la qualité de l’environnement à l’intérieur des logements subventionnés et sur son incidence sur la santé des personnes marginalisées.
Déclaration : Carolyn Swope reçoit des honoraires de Delos Living pour un travail de consultation qui n’a aucun lien avec le présent billet de blogue.