Matière à réflexion : résistance aux antimicrobiens et formules BARF pour animaux de compagnie
De plus en plus de propriétaires d’animaux de compagnie remplacent la nourriture sèche ou en conserve par une diète à base de viande crue (DBVC). Vu le risque de contamination de la viande crue et les contacts étroits entre les humains et leurs animaux, le gain de popularité des DBVC représente une menace potentielle pour la santé humaine.
Qu’est-ce qu’une diète à base de viande crue?
Parfois nommée alimentation à base d’os et de viande crue ou formule BARF (de l’anglais Biologically Appropriate Raw Food), la DBVC se compose de produits crus pour animaux, achetés en magasin ou préparés à la maison. Sa popularité croissante lui vient en grande partie des bienfaits supposés des DBVC et des formules BARF pour la santé des chats et des chiens. Des études ont montré de légères améliorations de la digestion dues à une modification de la flore intestinale chez les animaux nourris aux DBVC, mais la liste des ingrédients pourrait avoir plus de poids que la crudité des aliments en soi. La plupart des études n’ont pas comparé la diète crue à une diète cuite incluant les mêmes ingrédients; une comparaison n’a pas révélé de différence significative quant à la digestibilité de la préparation avant et après la cuisson. Pour ce qui est des nombreux autres bienfaits prétendus des DBVC (pelage plus lustré, renforcement du système immunitaire, meilleure santé des os), les preuves scientifiques sont inexistantes ou très limitées. Bien plus de données probantes pointent vers les risques que posent ces diètes pour la santé humaine et la santé animale étant donné l’abondance de bactéries dangereuses dans les aliments crus, dont certaines résistantes aux antibiotiques.
Que dit la science sur la contamination microbienne des DBVC?
Bien que ce soit le cas pour les aliments destinés à la consommation humaine et ceux importés pour les animaux de compagnie, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) n’impose pas d’exigences pour l’inspection des viandes ou les tests microbiens durant la fabrication ou l’entreposage des aliments au pays. Comme les aliments crus ne sont ni traités thermiquement ni stérilisés, le grand danger des DBVC réside dans les taux potentiellement élevés de bactéries et de parasites dans la nourriture lors de la consommation. Les principales méthodes de conservation des aliments crus (déshydratation, congélation, lyophilisation) n’éliminent pas tous ces pathogènes, et les DBVC commerciales ou maison peuvent être contaminées par la suite.
De nombreuses études de comparaison des produits crus et des aliments traités thermiquement pour animaux de compagnie ont signalé une prévalence accrue de bactéries comme Salmonella, Escherichia coli (E. coli), Campylobacter, Listeria monocytogenes, Brucella et Yersinia enterocolitica, tant dans les aliments crus que dans les excréments des animaux qui en consommaient. Plus inquiétant encore, des études ont associé les DBVC à des taux accrus de bactéries résistantes aux antimicrobiens (RAM) dans les préparations crues maison et commerciales, et dans les excréments des animaux à qui on donnait une DBVC. Selon une étude sur la présence de E. coli dans les excréments de 73 labradors retrievers en santé n’ayant pas reçu de traitement antimicrobien, la consommation de viande crue est un facteur de risque important de résistance aux antimicrobiens.
On a également trouvé des bactéries résistantes aux antimicrobiens dans des produits secs ou en conserve, mais plusieurs études ont indiqué des niveaux de loin inférieurs à ceux observés dans les DBVC maison ou commerciales.
Quels risques pose l’alimentation crue des animaux de compagnie pour la santé humaine?
Les propriétaires ont souvent des contacts étroits fréquents avec leurs animaux, ce qui fait croître le risque d’échanges de bactéries (y compris RAM) entre les humains et les animaux de compagnie. Certaines bactéries, dont les salmonelles, les campylobactéries et E. coli, peuvent rendre les humains malades sans affecter les animaux de compagnie. Les souches RAM de ces pathogènes représentent souvent une plus grande menace pour la santé humaine, car les traitements ont leurs limites. La possibilité qu’un animal de compagnie transmette une bactérie RAM aux humains est particulièrement inquiétante chez les populations vulnérables qui ont un risque relativement élevé d’infection comme les jeunes enfants et les personnes âgées, enceintes ou immunodéficientes.
Malgré les nombreuses données étayant la transmission de pathogènes aux humains par l’alimentation crue des animaux de compagnie, il faut rappeler que les preuves d’une corrélation directe entre les pathogènes RAM et l’exposition humaine sont faibles. Les études sur le sujet ont surtout porté sur la caractérisation des pathogènes RAM et leur présence dans les produits crus pour animaux de compagnie ou dans les matières fécales des animaux nourris d’aliments crus. En raison des défis méthodologiques, la probabilité et la fréquence ou l’ampleur du transfert de ces pathogènes aux humains restent à préciser. Quelques études ont toutefois montré que la transmission est possible et semble plus fréquente quand les animaux de compagnie sont eux-mêmes malades. Fait intéressant : les auteurs d’une étude sur les propriétaires néerlandais de chiens et de chats et leurs animaux ont noté que les chiens et les humains d’un même foyer étaient plus souvent tous deux porteurs de la bactérie E. coli productrice de bêta-lactamases à spectre étendu (BLSE) résistantes aux antibiotiques que ce à quoi on s’attendait. Les auteurs suggèrent que la transmission de cette bactérie survient soit entre les chiens et les humains d’un même foyer, soit par l’exposition à une même source. Selon la même étude, le principal facteur de contamination chez les chiens était la consommation de viande crue.
Réduction des risques de résistance aux antimicrobiens liés à l’alimentation crue des animaux de compagnie
Les animaux qui ingurgitent des aliments crus contaminés peuvent être colonisés par des bactéries dangereuses pour l’humain sans manifester de symptômes cliniques. Il importe donc que les agents de santé environnementale qui enquêtent sur des cas de bactérioses, comme la salmonellose, sachent que les animaux de compagnie peuvent être en cause (surtout s’ils ont une DBVC). Comme avec la résistance aux antimicrobiens dans la chaîne alimentaire, les messages et les mesures de prévention des infections factuels ont un grand rôle à jouer pour réduire la propagation des bactéries RAM par les DBVC et les risques qu’elles posent pour la santé. Voici des exemples de mesures visant le comportement des propriétaires d’animaux de compagnie :
- Mettre à contribution les professionnels de la santé environnementale et de la santé publique pour informer la main-d’œuvre du secteur alimentaire animalier (ex. : personnel des magasins d’aliments pour animaux de compagnie) des risques liés aux DBVC, comme le réclame ardemment l’Association canadienne des médecins vétérinaires.
- Enseigner les bonnes pratiques de manipulation des aliments et d’assainissement des surfaces de préparation aux propriétaires d’animaux qui privilégient une DBVC. Garder le matériel utilisé pour préparer de la nourriture pour chien crue (contenants, bols, ustensiles) à l’écart de la nourriture humaine. Éviter les bols et les contenants en plastique pour préparer la nourriture des animaux de compagnie, car des bactéries peuvent se loger dans de petites fissures en surface. Utiliser plutôt des contenants en verre ou en acier inoxydable bien identifiés et utilisés uniquement à cette fin.
- Conseiller aux propriétaires qui choisissent une DBVC de se laver les mains après avoir nourri leur animal ou manipulé ses excréments. Comme la salive des animaux nourris avec une DBVC peut aussi contenir des bactéries dangereuses, recommander aux gens de ne pas laisser leur animal leur lécher le visage. Bien se laver les mains après avoir touché un animal de compagnie.
- Interdire aux organismes qui fournissent des chiens de thérapie à des personnes immunodéficientes, notamment des jeunes enfants, des personnes âgées ou des femmes enceintes, de donner une DBVC aux animaux.
Considérations politiques
Le Canada devrait envisager d'adopter des règlements plus stricts régissant la fabrication et la vente d'aliments crus pour animaux de compagnie produits commercialement. Les risques microbiens liés aux aliments pour animaux domestiques thermotraités disponibles dans le commerce et vendus dans le pays sont encore mal connus. Cependant, l'accent doit être mis sur la réglementation des produits à plus haut risque, tels que les aliments crus. Plusieurs exemples internationaux ont élaboré des réglementations sur la fabrication et la vente d'aliments pour animaux de compagnie, notamment les États-Unis et l'Union européenne. Les points à prendre en compte sont les suivants :
- que les usines élaborent et tiennent à jour un système d’analyse des risques et de maîtrise des points critiques (HACCP) pour définir et neutraliser les risques biologiques, chimiques et physiques aux différentes étapes de production et de vente des aliments pour animaux de compagnie, comme c’est le cas pour la nourriture destinée aux humains. Les États-Unis et l’Union européenne ont déjà implanté cette mesure visant la production d’aliments pour animaux de compagnie;
- que les partenaires industriels, dont la Canadian Association of Raw Pet Food Manufacturers, participent à la promotion de normes de production plus strictes;
- que les fabricants ajoutent un avis sur les emballages de DBVC pour informer les consommateurs du risque de contamination par des bactéries dangereuses;
- qu’un organe de réglementation fédéral s’occupe du rappel des aliments pour animaux de compagnie potentiellement contaminés (comme le fait la FDA avec sa liste de rappels et de retraits).
Author
Leah Rosenkrantz est spécialiste en application des connaissances scientifiques au CCNSE.
[Dernière mise à jour : 16 février 2022]