Le Département des Pêches et de la Faune de l’État de Washington et le Center for Urban Waters de l’Université de Washington à Tacoma ont annoncé avoir détecté des contaminants nouvellement préoccupants dans des moules recueillies en 2012-2013 près de zones urbanisées entourant le Puget Sound, où elles avaient été implantées. Les chercheurs ont expliqué, dans leur présentation à la Salish Sea Ecosystem Conference (Seattle, le 4 mai 2018)1, avoir réanalysé les tissus de ces mêmes moules et y avoir trouvé plus de 200 produits pharmaceutiques dont des traces d’antidépresseurs, d’antibiotiques, de détergents (surfactants synthétiques), de médicaments pour le cœur et de melphalan (utilisé en chimiothérapie), entre autres. Ils ont aussi décelé des traces d’oxycodone, un analgésique opioïde, dans des spécimens prélevés à 3 des 18 lieux de collecte (17 %). La découverte d’un opioïde dans des moules a fait l’objet d’une couverture médiatique importante.
Présence de contaminants nouvellement préoccupants dans l’eau
Les produits pharmaceutiques se retrouvent dans l’eau douce et l’eau salée lorsqu’ils sont consommés puis excrétés dans l’urine, ou lorsqu’ils directement jetés dans le système d’aqueduc. On sait que l’eau rejetée par les usines de traitement des eaux usées dans les milieux aquatiques environnants contient toutes sortes de contaminants nouvellement préoccupants. Le traitement habituel des eaux usées en deux étapes n’effectue qu’une élimination minimale ou partielle de bon nombre de substances pharmaceutiques, dont les opioïdes. Ainsi, les concentrations de ces contaminants dans les eaux usées ont servi à suivre les changements dans les habitudes de consommation d’opioïdes aux États-Unis, en Espagne, en Croatie, en Norvège et en Australie.
Présence de contaminants nouvellement préoccupants dans les moules
Compte tenu de leur vaste dispersion géographique et de leur capacité de bioaccumulation des produits pharmaceutiques qui se trouvent dans l’eau qui les entoure, les moules sont
utilisées comme espèce sentinelle. Elles filtrent la nourriture et bioaccumulent les contaminants anthropiques en grande quantité dans leurs tissus2-4,24,25. Contrairement aux poissons,
les moules rejettent et métabolisent peu les médicaments, dont l’oxycodone24. Récemment,
une étude ontarienne a comparé les concentrations d’oxycodone mesurées dans l’eau et dans les tissus de moules, et a obtenu un facteur de bioaccumulation moyen (de l’eau aux tissus) de 9,86 (intervalle de confiance à 84 % : 0 à 24).
Considérations écologiques
La détection dans l’eau et les moules de contaminants nouvellement préoccupants, dont les opioïdes, a une portée écologique importante, étant donné que ces contaminants affectent la croissance, les systèmes hormonaux et la capacité reproductrice des organismes. Peu d’études ont examiné l’effet des contaminants nouvellement préoccupants sur le milieu marin; qui plus est, presque toutes se sont concentrées sur les mammifères marins et les risques associés à l’exposition à long terme aux composés ayant un potentiel de bioaccumulation, tels que les perturbateurs endocriniens.
Serait-il dangereux de manger les moules analysées dans l’État de Washington?
Outre le risque écologique, la probabilité que l’oxycodone contenue dans des fruits de mer ait un effet pharmacologique sur l’humain qui les consomme semble négligeable. Premièrement, les moules analysées dans l’étude ont été recueillies à des fins de recherche près de zones urbanisées, et ne proviennent pas de parc à crustacés à vocation commerciale, qui sont considérés comme exempts de produits pharmaceutiques. Deuxièmement, la dose d’opioïdes que pourrait fournir la consommation de moules est extrêmement faible : le Département des Pêches et de la Faune de Washington nous a dit avoir mesuré des concentrations d’oxycodone de 1,5 ng/g, 1,2 ng/g et 0,68 ng/g de poids humide dans les organismes recueillis à leurs sites de Seattle et Sinclair Inlet/Bremerton (James West, 25 juin 2018). Nous avons calculé que pour obtenir une dose de 10 mg d’oxycodone, soit la dose moyenne pour les adultes, avec des moules contenant la concentration maximale signalée de 1,5 ng/g, une personne devrait manger 6 700 kg de chair, soit environ 466 660 moules. Troisièmement, nous ne connaissons aucune étude de cas qui ait rapporté des effets indésirables des suites de la consommation de fruits de mer contaminés aux opioïdes.

Portrait global des risques pour la santé des humains
Même si le risque qu’une personne mange suffisamment de moules contenant des traces d’opioïdes pour obtenir un effet pharmacologique est négligeable, les travaux menés dans l’État de Washington viennent illustrer le problème plus large de la présence de contaminants nouvellement préoccupants dans l’environnement et des risques associés pour notre santé. Beaucoup d’études ont montré que les concentrations de médicaments dans l’environnement étaient relativement faibles, mais qu’il était impossible d’exclure tout risque pour la santé humaine en raison de la surveillance inconstante des contaminants émergents et
du manque de recherches à leur sujet. Comme la plupart des contaminants nouvellement préoccupants se trouvent en concentration relativement faible dans l’environnement, les substances de cette catégorie qui présentent le plus grand risque sont celles qui n’engendrent pas une réaction immédiate par une exposition aiguë, mais dont l’effet se fait plutôt sentir après une exposition à long terme, surtout pour les composés qui ont un potentiel de bioaccumulation élevé36. Mais des points importants demeurent sans réponse : on ne sait pas si l’exposition à long terme à ces produits pharmaceutiques est sécuritaire, et si ceux-ci peuvent, combinés dans l’environnement,
avoir une action synergique.
On en sait peu sur la mesure dans laquelle l’exposition des humains aux produits pharmaceutiques par la consommation de fruits de mer contaminés est due à la bioamplification tout au long de la chaîne alimentaire. Néanmoins, jamais la consommation d’eau potable ou de fruits de mer contenant de ces produits n’a été associée à des effets néfastes pour la santé humaine. Les prochaines recherches devraient inclure des populations dont le régime alimentaire entraîne une exposition accrue, notamment des communautés des Premières Nations.
La présence de contaminants nouvellement préoccupants dans l’eau potable est aussi source d’inquiétude. En ce qui concerne plus précisément les risques pour la santé humaine associés à la consommation d’eau potable contenant des traces de substances pharmaceutiques, la recherche n’a produit, jusqu’à maintenant, que
très peu de preuves d’effets néfastes. Précisons ici que les concentrations de composés médicamenteux dans l’eau sont généralement inférieures de plusieurs
ordres de grandeurs aux niveaux jugés acceptables.
Remerciements
Nous remercions James E. West et Jennifer Lanksbury, du Département des Pêches et de la Faune de l’État de Washington, pour leur coup de pouce avec les données de l’étude originale, ainsi que Lorraine McIntyre, spécialiste de la salubrité alimentaire au Centre de contrôle des maladies de la Colombie-Britannique, pour son aide dans le calcul de la dose d’oxycodone dans les moules. Enfin, merci à la Dre Shovita Padhi, médecin hygiéniste à la Fraser Health Authority, qui a demandé à ce que le Centre de contrôle des maladies de la Colombie-Britannique commente les résultats obtenus dans l’État de Washington.
Conflits d’intérêts
Nous n’avons aucun intérêt commercial ni reçu aucun financement constituant un conflit d’intérêts pour le présent article.