Favoriser la résilience et la santé par l’agriculture urbaine
En contexte de pandémie de COVID-19, partout dans le monde, les gens se sont mis à produire des aliments chez eux ou dans leur communauté. Près d’un Canadien sur cinq a commencé à jardiner l’an dernier, et les deux tiers ont été influencés par la pandémie. Les détaillants ont rapporté une hausse fulgurante des ventes, et bien des fournitures essentielles sont devenues rares.
L’engouement pour le jardinage s’inscrit dans la tendance de l’agriculture urbaine, qui favorise le respect de l’environnement et la justice sociale et consiste à utiliser des terrains urbains, de la main-d’œuvre et de l’eau pour produire des aliments. Ce type d’agriculture peut se pratiquer dans une ferme commerciale urbaine, un jardin communautaire, une cour arrière, une cour d’école, un jardin de toit ou sur n’importe quel terrain urbain, et peut même s’accompagner d’aquaculture ou d’élevage. Les fermes urbaines sont des entreprises qui vendent des produits alimentaires réglementés en vertu d’autorisations et de permis locaux. À des endroits où l’accès aux terres est difficile (à Singapour, par exemple), des innovations comme la culture sur les gratte-ciel et les toits se sont multipliées en réaction aux inquiétudes entourant la pénurie de terres et la dépendance envers les produits alimentaires importés.
Quels sont les bienfaits de l’agriculture urbaine sur la santé?
L’agriculture urbaine produit une multitude d’effets positifs sur la santé physique et mentale des résidents. Le jardinage vivrier (culture à des fins alimentaires) permet de décompresser, de communier avec la nature, de tisser des liens et de passer un moment agréable dehors, en toute sécurité. Il a aussi des effets tangibles, comme la participation citoyenne au système alimentaire et l’apprentissage des rouages de la production. Dans un contexte comme celui de la pandémie, où beaucoup de gens ont perdu leur salaire et où les prix des aliments ont grimpé, l’agriculture urbaine est venue combler une partie des besoins. Dans certaines régions, les jardins communautaires ont été qualifiés de service essentiel, et des fermes urbaines ont fait don d’aliments. L’agriculture urbaine peut créer des habitats fauniques qui favorisent la biodiversité, générer des infrastructures vertes qui facilitent la gestion des eaux pluviales et atténuer les îlots de chaleur.
Quoique bénéfique, l’agriculture urbaine peut comporter des problèmes de santé environnementale. Sont présentées ci-dessous des préoccupations sanitaires potentielles concernant la culture vivrière en milieu urbain.
Les sols en milieu urbain sont-ils sans danger pour l’agriculture?
Un sol sain se caractérise par des nutriments abondants (azote, phosphore, potassium et calcium) et des propriétés physiques comme une bonne absorption ou un bon drainage de l’eau. Il a aussi un pH neutre, pour favoriser une absorption optimale des nutriments. Cela dit, même un sol sain peut contenir des contaminants nocifs pour la santé humaine, auxquels la personne qui jardine peut être exposée par contact avec la peau, inhalation de poussières ou de substances volatiles ou ingestion de particules du sol ou de tissus végétaux contaminés. Les personnes qui pratiquent le jardinage depuis longtemps ont une connaissance variable des contaminants présents dans les sols et ne savent pas toujours comment réduire les risques.
En milieu urbain, il y a bien des sources potentielles de contamination des sols :
- D’anciens terrains industriels ou commerciaux, aussi appelés friches industrielles, sont parfois convertis à l’agriculture urbaine, mais leur utilisation antérieure peut avoir entraîné une contamination. Pensons par exemple aux métaux lourds ou aux polluants organiques, comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et les biphényles polychlorés (BPC), qui s’employaient dans les procédés industriels.
- Le dépôt de polluants atmosphériques attribuables à l’industrie ou aux transports, l’élimination des déchets et d’autres activités humaines peuvent avoir contaminé un terrain par le passé ou demeurer des sources de pollution. Des polluants comme les microplastiques s’échappent des installations de traitement des déchets et se retrouvent dans les sols et peuvent être ingérés par des humains ou des animaux, modifier les propriétés du sol et nuire aux fonctions végétales.
- Les usages résidentiels antérieurs et les travaux de construction peuvent aussi jouer sur l’accumulation de polluants. Par exemple, les habitations bâties avant 1990 peuvent contenir de la peinture au plomb, qui risque de s’infiltrer dans la terre et d’être absorbée par les plantes comestibles.
- L’utilisation adéquate ou inadéquate de pesticides, qu’elle soit chose du passé ou se poursuive, peut aussi représenter un danger d’insalubrité si des résidus s’infiltrent dans le sol ou s’accumulent dans les plantes cultivées. Il n’est pas rare que les consommateurs utilisent des concentrations excessives ou épandent des pesticides dans des conditions météorologiques qui ne conviennent pas (par grands vents ou juste avant qu’il ne pleuve, par exemple). Les pesticides se répandent alors au-delà de la zone à traiter.
- Le bois traité utilisé pour fabriquer des jardinières ou des plates-bandes surélevées peut contenir du créosote, qui risque de s’infiltrer dans le sol.
La pollution urbaine peut-elle se répercuter sur les cultures vivrières urbaines?
La contamination des sols est un problème courant dans les zones urbaines, mais tous les polluants ne se retrouveront pas dans les aliments. L’assimilation de polluants dépend de facteurs liés au sol, tels le pH, le drainage et la présence de matière organique, ainsi que de la partie de la plante qui est mangée. De même, certaines cultures sont plus susceptibles que d’autres d’être contaminées. Le plomb s’accumule dans les légumes-feuilles et les légumes racines, mais peu dans les fruits (p. ex., tomates, fraises). Près des zones à forte circulation, des plants de tomates ont absorbé du cadmium par leurs feuilles. À noter que la présence de cadmium dans un fruit ou un légume peut aussi être due à l’utilisation d’engrais.
Une étude menée récemment sur des légumes récoltés en milieu urbain a cependant révélé une faible absorption du plomb, même lorsque la concentration dans les sols était forte. À noter qu’il est possible de diluer le plomb en ajoutant du compost pour nourrir le sol. On peut employer d’autres méthodes de réhabilitation des sols, selon les technologies disponibles.
Quels sont les meilleurs moyens de relever et d’éliminer les problèmes de contamination des sols en milieu urbain?
Bien que le Plan d’action pour les sites contaminés fédéraux du Canada préconise la réhabilitation des friches industrielles, il reste encore beaucoup de sites à remettre en état. Chacune des provinces du pays a ses lois sur la remise en état des friches industrielles. Par exemple, la Colombie-Britannique a l’Environmental Management Act, qui encadre l’identification, l’évaluation et la réhabilitation des terrains ainsi que l’attribution des responsabilités. Les individus et les groupes de jardinage communautaire qui s’inquiètent de la contamination des sols peuvent s’adresser à leur municipalité ou consulter les guides d’analyse des sols publiés par des villes comme Toronto et Vancouver.
En voyant les sols comme des ressources, et non comme des déchets, on peut ouvrir la discussion. Les sols contaminés des chantiers de construction prennent habituellement le chemin d’un site d’enfouissement. Si les sols sont nettoyés et font l’objet d’une bioréhabilitation in situ, on peut convertir le terrain en parc (plutôt que d’aller chercher de la nouvelle terre), comme dans le cas du parc olympique Queen-Elizabeth de Londres.
Les autorités sanitaires peuvent encourager la population à envisager les pratiques exemplaires de jardinage urbain suivantes :
- Se rendre sur le terrain et consulter les archives concernant les utilisations du sol. Faire analyser les sols au besoin.
- Éviter d’aménager un jardin près d’une zone à forte circulation, d’un site industriel ou d’un bâtiment peint au plomb.
- Utiliser des plates-bandes surélevées contenant de la terre saine, en posant au fond un revêtement non toxique pour empêcher la lixiviation d’éventuels contaminants.
- Choisir des plantes dont on cueille les fruits : maïs, tomates, courges, etc.
- Vérifier qu’il a de l’eau propre sur place pour nettoyer les fruits et légumes et encourager les gens à toujours laver les aliments qu’ils récoltent avant de les manger.
- Ajouter des matières organiques propres (p. ex., compost non contaminé) et garder le pH du sol à peu près neutre pour réduire la biodisponibilité de certains métaux.
- Informer les personnes qui jardinent des mesures à prendre pour utiliser et éliminer les pesticides et se prononcer en faveur de l’interdiction des produits nocifs.
- Les professionnels de la santé publique peuvent contribuer à la sensibilisation des consommateurs à l’utilisation et à l’élimination adéquates des pesticides et se prononcer en faveur du bannissement des produits nocifs.
La propreté des sols, d’accord, mais qu’en est-il de l’eau?
L’un des meilleurs moyens de prévenir la contamination des sols et d’avoir des cultures saines consiste à utiliser une eau d’irrigation propre. Cela dit, l’irrigation à l’eau potable peut être problématique, vu la forte sollicitation des réseaux d’aqueducs en saison de croissance et les pénuries d’eau liées au climat. On pense souvent à la solution de rechange que représente la citerne pluviale, mais si l’eau de pluie est sans danger pour l’arrosage de plantes non comestibles, beaucoup se demandent si l’eau stockée dans une citerne pluviale convient à la culture vivrière.
La salubrité de l’eau de pluie dépend grandement des conditions de collecte et de stockage. Les eaux de pluie qui ruissellent sur les toits peuvent contenir des contaminants chimiques ou des contaminants biologiques (bactéries, cyanobactéries, champignons, protozoaires), issus des excréments d’oiseaux et autres animaux. De plus, dans certaines conditions, des pathogènes peuvent proliférer à l’intérieur d’une citerne pluviale. Par exemple, des eaux pluviales prélevées en Ohio présentaient une concentration de coliformes excédant les normes américaines applicables à une utilisation récréative secondaire, mais ont été jugées acceptables pour l’arrosage des plantes. À titre comparatif, la concentration dans des échantillons pris autour de Guelph, en Ontario, était plus faible, surtout en saison froide, signe que l’emplacement géographique et la période de l’année peuvent influer sur la concentration de coliformes.
Des contaminants chimiques peuvent être transportés par le vent ou la pluie et se déposer sur les toits ou s’échapper par lessivage des matériaux de couverture et se retrouver dans une citerne pluviale ou directement sur le sol. On parle entre autres de métaux lourds, de nutriments, de particules et de pesticides. Le degré de contamination peut aussi varier selon les caractéristiques du toit, dont la pente, la rugosité, le revêtement, l’âge et l’état d’entretien.
En Amérique du Nord, on trouve souvent des métaux lourds (p. ex., zinc, plomb) dans les eaux de pluie qui ruissellent sur les toits. Cependant, des études sur les contaminants présents dans des citernes pluviales en milieu urbain ou suburbain au New Jersey et à Philadelphie ont révélé des teneurs en zinc et en plomb très inférieures aux normes fédérales sur l’irrigation. De même, les eaux issues du ruissellement sur les toits de Puget Sound étaient exemptes de métaux lourds. Les eaux pluviales contenues dans des citernes à Guelph affichaient une faible teneur en métaux lourds. Ces résultats indiquent que des contaminants peuvent être présents, mais qu’il importe de se demander si leur concentration est assez forte pour avoir des effets nocifs.
La question de l’utilisation de sources d’eau où il y a prolifération d’algues est traitée en détail dans une ressource du CCNSE intitulée Présence de fleurs d’eau de cyanobactéries dans l’eau d’irrigation des cultures.
Quelles sont les meilleures pratiques quant à l’utilisation de citernes pluviales?
S’il est déconseillé de la boire, l’eau de pluie peut servir à faire pousser des plantes comestibles, à condition que des précautions soient prises pour réduire le risque que les aliments récoltés contiennent des pathogènes ou des vecteurs zoonotiques. La Washington State University Extension y va des conseils suivants :
- Installer un déflecteur de « première chasse » pour détourner de la citerne pluviale les premières eaux qui ruissellent sur la toiture.
- Privilégier des récipients opaques pour empêcher la lumière de pénétrer et de favoriser la prolifération des algues bleu-vert.
- Installer un couvercle ou un moustiquaire pour barrer l’entrée aux moustiques, vecteurs de maladies potentiellement mortelles comme le virus du Nil occidental.
- Traiter régulièrement les citernes au javellisant pour détruire les pathogènes et les larves de moustique.
- Concevoir le système d’irrigation de sorte que l’eau coule directement sur le sol, et non sur les parties comestibles des plantes.
- Toujours nettoyer les fruits et légumes du jardin à l’eau potable propre avant de les consommer.
Résumé
L’agriculture urbaine a gagné en popularité, et pour cause : elle peut renforcer la résilience et la sécurité alimentaire, constituer un loisir sain et créer des habitats bénéfiques aux écosystèmes. En s’attaquant aux risques de santé environnementale que comporte l’agriculture urbaine, on pourra rendre celle-ci plus bénéfique encore.
Les professionnels de la santé publique peuvent jouer un rôle important dans le domaine de l’agriculture urbaine grâce à leurs liens avec les collectivités, en offrant leurs connaissances des questions sanitaires et en collaborant avec les urbanistes. Pour s’impliquer, ils peuvent notamment adopter les stratégies suivantes :
- Sensibiliser les personnes qui jardinent à la présence potentielle de contaminants dans les sols et les eaux.
- Évaluer les risques pour la santé environnementale (p. ex., zoonoses, animaux indésirables) que comportent les politiques d’élevage en milieu urbain, comme la salmonelle dans le cas des poules urbaines.
- Donner des conseils sur les problèmes potentiels de lutte contre les organismes nuisibles en contexte d’agriculture urbaine.
- Informer les restaurateurs, les marchés et les banques alimentaires des risques d’insalubrité associés aux aliments achetés auprès de fermes urbaines (p. ex., mesclun).
- Recenser les quartiers où l’accès à des aliments frais est déficient afin que des jardins communautaires puissent être aménagés pour leurs habitants.
- Promouvoir les bienfaits de l’agriculture urbaine pour la santé et soulever les enjeux environnementaux lors de l’étude de plans de rezonage de terrains en vue d’inclure l’agriculture urbaine.
- Participer à des coalitions aux côtés de groupes communautaires, d’urbanistes et de professionnels de la santé publique pour mettre au point des politiques régionales d’agriculture urbaine. Il peut s’agir, par exemple, d’affecter des terrains publics (p. ex., parcs) à l’agriculture urbaine, d’instaurer des politiques de végétalisation des toits pour les nouvelles constructions, d’inclure des jardins communautaires dans les projets de logement abordable ou de présenter l’agriculture urbaine comme un élément important du système alimentaire régional et d’un environnement bâti sain.
Ressources
- Urban Agriculture Garden Guide (Ville de Vancouver)
- Growing Gardens in Urban Soils (Environmental Protection Agency des États-Unis)