La rage sous l’angle de l’approche « Une seule santé »

La rage est une maladie virale zoonotique grave et souvent mortelle qui touche les mammifères, y compris les humains. Jusqu’ici, les organismes provinciaux et territoriaux de santé animale et de santé publique se sont partagé la responsabilité de la prévention et de la lutte contre la rage. Cependant, des facteurs tels que le changement climatique, l’expansion des aires de distribution des animaux et l’importation animale modifient la dynamique de la maladie, ce qui requiert une évolution des approches et des partenariats. L’application d’une approche « Une seule santé » à la lutte contre la rage pourrait favoriser la collaboration entre les différents secteurs et territoires de compétences. Ce billet dresse l’état des lieux de la rage au Canada et souligne l’importance du concept « Une seule santé » dans sa prévention et son contrôle.
La rage chez les animaux au Canada
Loin d’être une nouvelle maladie, la rage est détectée chez des animaux partout au pays depuis des siècles. C’est une maladie à déclaration obligatoire en vertu de la Loi sur la santé des animaux, et entre 2011 et 2024, une moyenne de 150 cas positifs chez les animaux a été signalée chaque année. La plupart des cas concernent les principaux réservoirs de la rage en milieu sauvage, à savoir les chauves-souris, les mouffettes, les ratons laveurs et les renards, mais d’autres animaux sont également touchés, notamment le bétail et les chats et chiens domestiques. Au Canada, les activités de surveillance sont diverses et comprennent des programmes tant actifs que passifs. Il est toutefois probable que de nombreux cas chez la faune sauvage passent inaperçus. Les souches du virus diffèrent selon les espèces animales, et la prévalence des souches varie selon les régions (par exemple, les ratons laveurs dans l’est du Canada, les mouffettes en Saskatchewan et au Manitoba, les renards arctiques dans le Nord). Toutes les souches peuvent être transmises à d’autres mammifères, notamment les humains.
La rage chez les humains au Canada
La rage chez l’humain est une maladie à déclaration obligatoire au Canada. Les infections peuvent survenir à la suite d’une exposition à la salive d’animaux infectés, généralement par morsures ou griffures. La rage affecte le système nerveux central et est presque toujours mortelle après l’apparition de symptômes cliniques. Les cas chez l’humain sont rares au Canada : 28 décès ont été signalés depuis 1924, la plupart dus à une exposition aux chauves-souris. En 2024, un enfant est mort tragiquement de la rage après avoir été en contact avec une chauve-souris dans son domicile, ce qui constitue le premier cas de rage contracté localement en Ontario depuis 1967.
En février 2025, une personne résidente d’Hamilton, en Ontario, a été traitée après avoir été exposée à une chauve-souris testée positive. En cas de contact avec le virus, la prophylaxie postexposition (PPE) est presque toujours efficace à 100 % si elle est administrée rapidement. Certains groupes peuvent courir un plus grand risque de contracter la rage et pourraient bénéficier d’une vaccination préexposition. Il s’agit notamment des travailleurs en contact avec des animaux ou du personnel de laboratoire manipulant le virus de la rage, des personnes qui voyagent ou s’adonnent à la chasse et au trappage dans des régions où la rage est répandue, et des adeptes d’activités telles que la spéléologie (exploration de grottes).
L’exposition à la rage évolue-t-elle au Canada?
L’exposition à des chauves-souris est la principale cause des cas de rage humaine au pays, puisque les contacts avec d’autres animaux infectés sont rares. Cependant, la situation pourrait être en train d’évoluer. La recrudescence de la rage chez les ratons laveurs dans les provinces de l’est du Canada et le déplacement des chiens des régions du nord vers les communautés urbaines du sud augmentent le risque de cas humains. L’importation croissante de chiens en provenance d’autres pays suscite également des inquiétudes. À l’échelle mondiale, les chiens sont à l’origine de 99 % des cas de rage chez l’humain. Le Canada a réagi en interdisant les chiens provenant de pays considérés à haut risque de transmission de la rage et en contrôlant l’importation d’animaux en provenance d’autres pays.
Le changement climatique pourrait modifier les habitats et les schémas de déplacement des animaux, de même que les modes de transmission de la rage dans le nord du Canada. Le réchauffement des températures pourrait étendre l’aire de répartition de la faune et augmenter les populations d’espèces réservoirs, telles que les renards arctiques, à proximité des zones habitées. La hausse des températures pourrait également avoir des effets inattendus, comme la réduction des déplacements des renards arctiques en raison de la fonte de la glace marine, et la diminution conséquente des taux de transmission de la rage. Dans certaines régions, le déclin de la banquise pourrait au contraire entraver le déplacement de ces animaux, augmentant ainsi les rencontres entre les chiens, les humains et les renards infectés.
Comment appliquer le concept « Une seule santé » à la lutte contre la rage?
L’évolution de la dynamique de la maladie exige des stratégies plus intégrées. Une approche « Une seule santé » combinant les considérations humaines, animales et environnementales et favorisant la coordination et la collaboration offre une solution à volets multiples pour réduire le risque de rage au Canada. Elle nécessite la participation de groupes tels que les vétérinaires, les professionnels de la santé publique et de la médecine, les responsables des politiques et les collectivités. La rage se jouant des frontières, les stratégies doivent combler les lacunes en matière de partage des connaissances et de collaboration entre les partenaires fédéraux, provinciaux, territoriaux et autochtones. Voici les principales stratégies « Une seule santé » possibles :
- Poursuite et expansion du programme de vaccination de masse des animaux, en particulier dans les communautés éloignées et nordiques lorsque cela est possible.
La vaccination permet de prévenir la rage chez les animaux en bonne santé. En freinant la transmission de la rage à la source, soit les interactions entre les animaux sauvages et domestiques, le risque d’exposition chez les humains diminue. Bien que les programmes de vaccination de masse des chiens soient très efficaces, les communautés éloignées et nordiques sont souvent confrontées à des obstacles pour accéder aux soins vétérinaires, ce qui peut entraver ces efforts. Des organisations telles que Vétérinaires sans frontières, par l’entremise de la Northern Animal Health Initiative, s’efforcent de fournir des vaccins contre la rage, un soutien vétérinaire et une formation aux bénévoles dans les régions mal desservies des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut.
Les programmes de vaccination de la faune, particulièrement en zones urbaines, peuvent être efficaces, mais ne sont pas toujours pratiques. Par exemple, le taux d’enneigement et l’étendue géographique du Nord compliquent la mise en œuvre de ces programmes pour certains animaux, comme les renards arctiques, de sorte que d’autres stratégies pourraient être nécessaires.
- Accès adéquat à la prophylaxie postexposition (PPE)
L’accès rapide à la PPE (soins des plaies, immunoglobuline humaine antirabique et série de quatre doses de vaccins) est essentiel pour prendre en charge l’exposition à la rage chez les humains. Administrée à temps, la PPE est efficace à 100 % pour prévenir l’apparition de la rage. Cependant, les pénuries de vaccins, comme celle observée en Ontario en 2025, peuvent perturber la disponibilité des traitements, ce qui entraîne un rationnement et des retards dans les soins. Il est crucial d’assurer un approvisionnement constant et équitable en PPE dans tout le Canada pour lutter contre la rage.
- Sensibilisation et mobilisation du public
L’éducation est la pierre angulaire de la prévention de la rage. Les campagnes de sensibilisation du public et les programmes scolaires peuvent éduquer les communautés sur les risques liés à la rage, responsabiliser les propriétaires d’animaux de compagnie, promouvoir la vaccination des animaux en temps opportun et renforcer les pratiques sécuritaires de manipulation des animaux. Les programmes scolaires sont particulièrement efficaces, car les élèves partagent ensuite leurs connaissances avec leur famille et leur communauté, renforçant ainsi la sensibilisation du public. Des événements tels que la Journée mondiale contre la rage, le 28 septembre, contribuent également à informer la population.
- Surveillance et gestion de la faune
La surveillance et la gestion continues de la faune sont essentielles pour contrôler la prévalence de la rage, prévenir les épidémies et protéger les humains et les animaux domestiques. Il a été démontré que des mesures de contrôle ciblées, telles que celles mises en œuvre au Québec, sont efficaces pour lutter contre la transmission de la rage. Les programmes de surveillance peuvent également aider à suivre les tendances de la maladie et à évaluer l’efficacité des interventions.
Perspectives d’avenir
Le succès de l’approche « Une seule santé » pour lutter contre la rage dépend d’une collaboration soutenue entre les sphères humaines, animales et environnementales et d’une amélioration des liens entre les homologues des différents territoires de compétence. Bien que la rage ne soit pas une nouvelle maladie, le contexte marqué par le changement climatique et les interactions croissantes entre les humains et les animaux exige un engagement continu de la part des personnes, des organisations et des responsables des politiques. En 2023, le projet de loi C-349 a été présenté au Parlement afin d’établir une journée nationale de sensibilisation à la rage et d’élaborer une stratégie nationale de prévention et de contrôle de la maladie; il n’a toutefois pas encore été adopté.
À mesure que le Canada poursuit sa lutte contre la rage, il sera crucial de maintenir une approche « Une seule santé » afin d’atténuer les risques et de protéger la santé publique. En renforçant les programmes de vaccination, en assurant la disponibilité et l’accessibilité de la PPE, en misant sur l’éducation et en améliorant la surveillance de la faune, le Canada peut continuer à protéger les communautés contre cette maladie mortelle, mais évitable.
Pour plus d’informations sur la rage au Canada et sur l’approche « Une seule santé » pour la prévenir et la contrôler :
La rage au Canada
- Surveillance de la rage au Canada (Agence de la santé publique du Canada)
- La rage : Pour les professionnels de la santé (Agence de la santé publique du Canada)
- Cas de rage au Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments)
- Fiche de renseignements sur la rage (Agence canadienne d’inspection des aliments)
- Informations générales sur la rage, notamment des rapports techniques et des pratiques exemplaires (Santé publique Ontario)
Approches « Une seule santé » de la lutte contre la rage
- Contrôle de la rage : un modèle pour la mise en place d’une collaboration « Une seule santé » (Organisation mondiale de la santé animale)
- La rage selon l’approche « Une seule santé » (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture)
- Formation : Rabies & One Health: From basics to cross-sectoral action to stop human rabies deaths (Organisation mondiale de la santé)