L’utilisation de nanomatériaux comme désinfectants contre le SRAS-CoV-2

Contexte
Même si la COVID-19 se transmet principalement lors de contacts étroits avec une personne infectée, le SRAS-CoV-2 se trouve aussi dans des gouttelettes respiratoires et des aérosols qui se déposent sur les surfaces. Pour prévenir l’exposition au virus sur les surfaces (vecteurs passifs), il est recommandé de nettoyer, d’assainir et de désinfecter souvent celles-ci. Mais si entre-temps des gouttelettes infectées s’y déposent, le risque est toujours là. L’existence de surfaces pouvant rapidement et continuellement inactiver les virus réduirait probablement le risque de transmission par vecteur passif et le recours à la désinfection chimique.
On a déjà fabriqué et utilisé des nanoparticules de synthèse (nanotechnologie) contre de nombreux agents pathogènes. Les nanoparticules de synthèse sont des particules ayant au moins une dimension de moins de 100 micromètres. Pour en créer, il faut soit décomposer des matériaux de plus grande échelle (c’est-à-dire dont toutes les dimensions dépassent les 100 micromètres), soit partir de substances précurseurs comme des sels métalliques. On peut les utiliser directement ou les incorporer dans des petites structures plus complexes nommées nanomatériaux, qui entrent dans des procédés industriels.
L’efficacité des vaccins, des médicaments et des désinfectants qui utilisent des nanoparticules de synthèse ciblant des virus enveloppés comme le VIH, les herpès virus et les virus de la grippe ont poussé les chercheurs à se pencher sur la possibilité de concevoir des nanoparticules de synthèse qui inactiveraient le SRAS-CoV-2. Mon billet porte sur les applications de la nanotechnologie dans l’autodésinfection de l’équipement de protection individuelle et des surfaces fréquemment touchées comme celles des équipements de transport actif partagés et des lieux comme les édifices publics, les écoles, les garderies, les centres communautaires, les transports en commun et les établissements où on manipule des aliments.
Les nanoparticules de synthèse et leurs propriétés antivirales
Les nanoparticules de synthèse ont souvent des propriétés différentes du matériau de plus grande échelle duquel elles sont issues. Par exemple, les nanoparticules de cuivre et d’argent, deux substances antipathogènes bien connues, sont beaucoup plus toxiques que le cuivre et l’argent sous leurs formes plus grosses. Ces deux métaux et certains composés nanoscopiques tels que le dioxyde de silice, le dioxyde de titane, l’oxyde de zinc, les nanotubes de carbone et l’oxyde de graphène sont efficaces contre les virus enveloppés comme le SRAS-CoV-2; les nanocomposites combinant de l’argent et du cuivre avec du fer, de l’iode, du chlore ou du soufre le sont aussi.
Les mécanismes par lesquels les nanoparticules de synthèse inactivent les virus enveloppés font présentement l’objet de recherche. Pour le moment, on pense que ces particules :
- dénaturent les protéines et les lipides de surface, ce qui cause la destruction de l’enveloppe entourant l’ARN viral;
- bloquent des fonctions essentielles, comme la réplication de l’ARN;
- empêchent le virus de se lier aux cellules;
- empêchent le virus d’adhérer aux surfaces.
L’utilisation de produits autodésinfectants pendant la pandémie de COVID-19
Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, beaucoup d’entreprises de nanotechnologies ont décidé de faire appel à leur expérience pour mettre au point des produits qui inactivent ou éliminent le SRAS-CoV-2 sur les surfaces. Ci-dessous, je donne quelques exemples tirés de StatNano et NanoWerk, deux sites d’échange d’information sur les nanotechnologies.
Revêtements pour surfaces fréquemment touchées
Wheels, un service international de vélos électriques en libre-service, a installé sur sa flotte des poignées et des leviers de frein autodésinfectants recouverts d’une pellicule dont les nanocristaux photosensibles inactivent le SRAS-CoV-2 et d’autres agents pathogènes. Le même matériau breveté a été utilisé pour fabriquer des matelas, des pellicules autocollantes, des manchons pour poignées de porte, des étuis pour les appareils électroniques personnels et des lingettes. Des chercheurs de l’Université McMaster ont conçu une pellicule plastique qui repousse les particules virales des surfaces fréquemment touchées. Elle ne tue pas les virus, mais les surfaces traitées font tomber les particules.
Peintures et aérosols
À Milan, pendant le confinement, on a aspergé les surfaces extérieures d’une solution contenant du dioxyde de titane et des ions d’argent. Le traitement devrait être efficace pour deux ans au maximum. Au Canada, une entreprise teste un aérosol pour tissus qui utilise un composite de nanoparticules d’argent à base d’oxyde de graphène, et en Israël, un laboratoire essaie différents aérosols et peintures à base de nanoparticules de cuivre conçus pour les murs, les planchers, les meubles et les autres surfaces intérieures.
Matériaux barrières et d’emballage
Certains couvre-visages renferment des nanofibres naturelles et synthétiques. Leurs fabricants insistent pour dire que le tissu n’empêche pas la respiration normale et peuvent emprisonner les particules de la taille d’un virus, et parfois même inactiver les virus. Quelques technologies existaient déjà, tandis que d’autres sont nouvelles. Par exemple, des chercheurs de l’Université de technologie du Queensland sont en train d’adapter des filtres à base de nanofibres de cellulose originalement créés pour contrer la pollution atmosphérique. Un fabricant de literie tchèque a trouvé une nouvelle fonction à son tissu fait de nanoparticules d’argent : il sert maintenant à fabriquer des couvre-visages. Des groupes rassemblant des fabricants de textiles, des entreprises de nanotechnologies et des chercheurs examinent différentes façons d’intégrer des nanofibres de cuivre et d’autres composés antiviraux dans des tissus et des emballages de plastique.
Stérilisation efficace
Si un masque empêche le passage de gouttelettes infectées sans inactiver les virus, des particules virales actives restent emprisonnées dans le tissu. Des recherches sur différents enduits de graphène sont en cours, étant donné qu’il suffit de deux minutes à la lumière du soleil ou de 30 minutes à 56 °C pour décontaminer cette substance. Les masques ainsi traités pourraient donc être réutilisés ou recyclés en toute sécurité.
Risques pour la santé, réglementation et lacunes dans les connaissances en lien avec les nanoparticules de synthèse
Les propriétés antipathogènes de certaines nanoparticules de synthèse peuvent aussi rendre ces dernières toxiques pour les cellules et les organes humains. Le potentiel d’exposition dépend de la migration des nanoparticules du produit dans l’environnement où il est utilisé, mais on en sait encore peu sur les processus de migration. Les risques pourraient être plus importants si les produits sont vieux ou usés par l’abrasion, une érosion naturelle, une démolition ou un processus d’élimination. Les voies d’exposition les plus inquiétantes sont l’inhalation, le contact avec la peau et le contact avec les yeux.
Une fois les nanoparticules de synthèse entrées dans le corps, elles peuvent rapidement traverser les membranes et toucher de nombreux organes. Les études épidémiologiques sur ces nanoparticules sont rares parce que leur utilisation répandue est relativement récente et parce qu’il peut être difficile de les détecter et de cibler les sources d’exposition. Ainsi, la plupart des connaissances sur les risques posés par les nanoparticules de synthèse découlent de maladies professionnelles, d’études sur les animaux et les cellules, et d’utilisations cliniques, mais elles ne s’appliquent pas aux utilisations décrites plus haut.
La réglementation canadienne des nanoparticules de synthèse est guidée par la nécessité de promouvoir les avantages des innovations nanotechnologiques et de limiter les risques environnementaux et pour la santé tout au long du cycle de vie des produits. Les produits contenant des nanoparticules de synthèse et des nanomatériaux sont assujettis à la réglementation en vigueur sur les consommateurs, la santé, l’emballage et les produits industriels.
Messages clés
On ne comprend pas encore tout à fait le rôle des vecteurs passifs dans la transmission de la COVID-19, et des recherches sont en cours à ce sujet. Des préoccupations sur la transmission par vecteur passif ont suscité un intérêt quant au potentiel des produits autodésinfectants contenant des nanoparticules de synthèse pour limiter la propagation de la COVID-19. Il faudra toutefois répondre à plusieurs questions avant que ce type de produits ne devienne la norme dans les protocoles de désinfection.
- Quelle est l’efficacité de l’autodésinfection comparativement aux méthodes classiques?
- Dans quelles conditions les produits contenant des nanoparticules de synthèse complètent-ils ou remplacent-ils les méthodes de désinfection classiques?
- Quels sont les risques pour la santé des produits contenant des nanoparticules de synthèse comparativement aux autres désinfectants et assainissants (produits chimiques, rayons ultraviolets, chaleur, pulvérisation électrostatique)?
- Quels sont les coûts de l’autodésinfection comparativement aux autres méthodes?
Un des défis posés par l’évaluation des risques et des avantages de ces nouveaux produits est que la majorité de l’information qui les concerne est réservée à leur propriétaire. Ainsi, la surveillance réglementaire doit suivre la cadence des innovations afin d’assurer la sécurité et l’efficacité de ce type de produits.