Nouvelles mesures de maîtrise de la bactérie Listeria dans les établissements de transformation alimentaire
Listeria monocytogenes est la bactérie responsable de la listériose, une maladie qui peut causer de la fièvre, des frissons, des céphalées, des gastroentérites et même parfois l’hospitalisation ou la mort. Les femmes enceintes, les nouveau-nés et les adultes immunodéprimés sont les plus à risque d’être gravement malades. L’une des sources d’exposition à la listériose provient des aliments prêts à manger (PAM), qui peuvent avoir été contaminés à n’importe quelle étape de leur transformation. Les mélanges de salade, les produits de charcuterie, les boissons végétales et les gaufres congelées sont des exemples d’aliments prêts à manger qui ont fait l’objet de rappels au Canada. Des éclosions de listériose liées à de tels aliments ont entraîné des hospitalisations et des décès. Ce billet de blogue fournit des renseignements sur les sources d’exposition à L. monocytogenes, et sur les méthodes actuelles et nouvelles utilisées pour lutter contre cette bactérie dans les environnements de transformation alimentaire.
Contexte
L. monocytogenes est omniprésente dans la nature. Elle prolifère dans les environnements humides comme le sol, l’eau, l’appareil digestif de certains animaux et la végétation en putréfaction. Les fruits et légumes peuvent être contaminés par le sol ou par le fumier utilisé comme fertilisant. Il existe plusieurs modes de transmission, soit de la mère au fœtus in utero ou durant l’accouchement, d’un nourrisson à l’autre, de l’animal à l’humain, et par la consommation d’aliments contaminés. Les infections in utero peuvent provoquer une fausse couche, la mortinaissance et une septicémie ou une méningite périnatale.
Au Canada, la listériose est une maladie à désignation obligatoire et la cause principale des décès dus à une maladie d’origine alimentaire, avec environ 178 cas et 35 décès chaque année. Le Programme National de Surveillance des Maladies Entériques (PNSME) a indiqué un taux d’incidence plus élevé en 2022 qu’en 2021, mais similaire à celui de 2019. Les données de l’Agence de la santé publique du Canada montrent que, même si le taux est relativement stable depuis 2011, il reste plus élevé qu’en 1991. Entre 2019 et 2023, 123 produits alimentaires contaminés par la bactérie ont été rappelés, tandis que 23 rappels ont été publiés à ce jour en 2024. Les Centers for Disease Control des États-Unis estiment qu’environ 1 600 personnes sont infectées annuellement par la listériose, et que 260 en décèdent. Le National Outbreak Reporting System des États-Unis a répertorié 126 éclosions ayant causé 1 462 cas de listériose, 1 141 hospitalisations et 214 décès entre 2009 et 2022. Les cas de listériose recensés en Europe ont aussi augmenté au cours des dernières années : en 2022, le Système européen de surveillance a enregistré 2 770 cas confirmés. Un rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments et du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies a noté 2 621 cas confirmés de listériose effractive en 2019, avec 300 décès, ce qui en fait l’une des maladies d’origine alimentaire les plus graves en Europe.
Aliments à haut risque
La Listeria peut contaminer les aliments n’importe où dans le système de transformation : ingrédients crus, transformation, production, emballage ou entreposage. La Listeria crée un biofilm qui adhère aux surfaces, ce qui la rend difficile à éliminer. Il s’agit d’une bactérie aérobie facultative, capable de survivre et croître avec ou sans oxygène. Contrairement à de nombreux autres pathogènes d’origine alimentaire, L. monocytogenes peut survivre et proliférer à des températures de -0,4°C à 45°C, à un pH de 4,4 ou plus et lorsque l’activité de l’eau (aW) est de 0,92 ou plus. Ces facteurs en font une menace importante pour la salubrité des aliments, particulièrement pour les aliments prêts à manger qui restent emballés et réfrigérés longtemps et qui ne sont généralement pas cuits avant d’être consommés, comme la charcuterie et les salades.
Les éclosions de L. monocytogenes sont communément associées aux aliments prêts à manger qui n’ont pas besoin d’être cuits ou réchauffés, comme les viandes froides précuites, la charcuterie, le poisson fumé, salé ou séché, les fruits de mer cuits, les fromages à pâte molle à croûte moisie, les fromages et le lait crus non pasteurisés, les salades prélavées, les sandwichs préemballés et les fruits précoupés. Des éclosions antérieures au Canada et aux États-Unis ont été associées à des pousses crues, des fromages et du lait non pasteurisés, de la crème glacée, des fruits et légumes crus ou non transformés, de la volaille crue ou insuffisamment cuite, des saucisses, à des hot dogs, de la charcuterie et du poisson et autres fruits de mer crus ou fumés. Les animaux de compagnie peuvent aussi propager L. monocytogenes s’ils consomment des aliments crus contaminés.
Éclosions récentes
Éclosions notables au Canada et aux États-Unis au cours des dernières années :
Année |
Aliments responsables |
Nombre de cas |
Nombre d’hospitalisations |
Nombre de décès |
2024 |
59 |
59 |
10 |
|
2023 – 2024 |
20 |
15 |
3 |
|
2014 – 2023 |
26 |
23 |
2 |
|
2023 |
11 |
10 |
1 |
|
2023 |
19 |
18 |
0 |
|
2022 |
16 |
13 |
1 |
|
2022 |
28 |
27 |
1 |
|
2019 |
7 |
6 |
0 |
|
2016 |
14 |
14 |
3 |
|
2008 |
57 |
47 |
22 |
Mesures de maîtrise et d’atténuation des risques de base
Des mesures de maîtrise de base pour la surveillance, l’élimination, ou la réduction du nombre de L. monocytogenes dans les aliments prêts à manger sont appliquées aux aliments et aux environnements de transformation. Le caractère invasif de L. monocytogenes dans la nature et sa capacité à se répandre et à proliférer dans toute la chaîne de production alimentaire exigent une approche multidimensionnelle. Les facteurs principaux de l’introduction de L. monocytogenes sont les suivants :
- Infrastructure (p. ex. : approvisionnement en eau, évacuation de l’eau, élimination des déchets, ventilation, ventilateurs de plafond)
- Configuration des installations (p. ex. : séparation des aires de production d’aliments crus et prêts à manger, contrôle de la circulation)
- Conception et entretien de l’équipement
- Pratiques d’assainissement et de désinfection
- Formation et pratiques des employés
Les producteurs d’aliments prêts à manger doivent mettre en place de bonnes pratiques de fabrication (BPF) afin de limiter les risques de contamination, ainsi que des contrôles de la chaîne d’approvisionnement pour les aliments crus et des étapes de transformation validées pour éliminer ou réduire le nombre de L. monocytogenes. L’Agence canadienne d’inspection des aliments a formulé des recommandations détaillées sur les mesures de maîtrise pour les établissements de transformation alimentaire et les aliments. Les fabricants doivent respecter les critères d’échantillonnage et d’analyse des aliments prêts-à-manger de Santé Canada. Au Canada, les aliments prêts à manger sont classés en deux catégories en fonction de leur potentiel à favoriser la prolifération de L. monocytogenes pendant leur transformation et leur durée de conservation. Cette distinction détermine la fréquence de la surveillance des procédés, de l’échantillonnage environnemental et de l’analyse de produits finis pour un aliment spécifique.
Les mesures de maîtrise visent à prévenir et à surveiller la prolifération et la contamination de L. monocytogenes dans les aliments prêts à manger. Elles prennent en compte les éléments suivants :
- Méthodes de maîtrise des aliments : Les exemples incluent la pasteurisation, la stérilisation, la congélation, le refroidissement, l’acidification, la fermentation, le séchage et la filtration. Certaines méthodes peuvent avoir une incidence négative sur les caractéristiques nutritionnelles ou sensorielles des aliments prêts à manger.
- Maîtrise des processus : Certains additifs alimentaires ou agents technologiques alimentaires éliminent ou réduisent la prolifération de monocytogenes dans les aliments prêts à manger. Des traitements post-transformation peuvent aussi être utilisés avant l’emballage pour réduire ou éliminer le nombre de L. monocytogenes sur la surface des aliments prêts à manger.
- Mesures de maîtrise sanitaires : Un programme de nettoyage et d’assainissement efficace est essentiel à la prévention de la formation de biofilm afin de réduire le risque de contamination.
- Paramètres d’inhibition de la prolifération : L’ajustement de la formulation de produit utilisée pour préparer un aliment PAM pour maîtriser le pH, la température et l’Aw peut réduire ou prévenir la prolifération de monocytogenes. Ces paramètres doivent être maintenus pour l’entièreté de la durée de conservation pour être efficaces.
- Échantillonnage environnemental : La surveillance de l’environnement et l’échantillonnage sont des outils cruciaux pour évaluer l’efficacité des mesures de maîtrise et pour repérer les lacunes dans les BPF. La stratégie d’échantillonnage utilisée dépend de la complexité du système de production et de la chaîne de transformation. Elle permet de mettre en évidence les sites d’introduction de monocytogenes potentiels. La présence de bactéries Listeria spp. peut indiquer une contamination à L. monocytogenes, dont la source peut être détectée et éliminée à l’aide de l’échantillonnage approfondi.
- Analyse de produits finis : L’analyse de produits finis génère des renseignements limités sur l’efficacité des mesures de maîtrise en raison de la répartition non uniforme des agents pathogènes. Elle devrait être jumelée à la surveillance de l’environnement et à l’échantillonnage afin de vérifier l’efficacité des mesures de maîtrise, ainsi que celle des additifs et agents technologiques alimentaires.
- Validation de la durée de conservation : La durée de conservation d’un aliment prêt à manger est affectée par des facteurs tels que l’aw, le pH, les températures auxquelles l’aliment est exposé au cours de la préparation, les additifs ou les agents technologiques utilisés, les conditions d’entreposage, etc. La durée de conservation devrait être limitée à la période durant laquelle la consommation de l’aliment reste sécuritaire.
- Traitement post-létalité : Les traitements post-létalité, comme la pasteurisation thermique de la surface et les traitements à haute pression peuvent être appliqués aux aliments après l’emballage afin de réduire ou d’éliminer les bactéries monocytogenes qui pourraient avoir contaminé l’aliment. Si le traitement post-létalité permet d’obtenir une réduction de 3 log ou plus de L. monocytogenes, la fréquence d’échantillonnage environnemental et de l’analyse de produits finis peut être réduite.
Bien que plusieurs mesures de maîtrise ciblant L. monocytogenes aient été mises en place dans les environnements de transformation alimentaire, des éclosions continuent de se produire. Il faut donc continuer de chercher et d’essayer de nouvelles interventions afin de réduire la morbidité et la mortalité causées par la listériose.
Nouvelles méthodes de maîtrise et de traitement
Des mesures de maîtrise et de traitement supplémentaires peuvent être mises en place pour les aliments et les environnements de transformation alimentaire afin de réduire ou d’éliminer le nombre de L. monocytogenes. La tolérance bactérienne aux désinfectants et aux assainissants est un enjeu préoccupant pour les environnements de transformation alimentaire, et d’autres outils de lutte biologique sont nécessaires. Des solutions comme les bactériophages, les bactéries concurrentes et les produits à base de plantes comme les huiles essentielles peuvent aider à combattre L. monocytogenes et d’autres pathogènes. Certaines de ces approches sont décrites ci-dessous :
Les bactériophages, des virus qui infectent les bactéries, sont utilisés pour désactiver les pathogènes présents sur les aliments PAM et les surfaces dans les environnements de transformation alimentaire. Les données sur leur efficacité contre le biofilm de L. monocytogenes ne sont pas concluantes. L’utilisation du bactériophage P100 est approuvée au Canada pour l’élimination de L. monocytogenes sur la surface des produits de viande rouge et de volaille PAM. L’endolysine, un enzyme hydrolytique utilisé par les bactériophages pour proliférer à partir de la cellule bactérienne hôte, a s’est montrée efficace contre le biofilm staphylococcique, et aussi potentiellement contre celui de L. monocytogenes.
Une autre méthode de lutte biologique consiste à utiliser des espèces de bactéries concurrentes produisant des antimicrobiens comme les bactériocines, qui produisent des acides qui modifient le pH de l’environnement de croissance, ou qui surpassent physiquement le pathogène pour l’accès à la substance nutritive ou à l’espace.
Les produits à base de plantes comme les huiles essentielles (produites à partir de racines, de bois, d’écorce, de branches, de feuilles, de fruits, de graines ou ds fleurs) peuvent pénétrer la membrane cellulaire et perturber le fonctionnement des cellules de la bactérie. Cependant, les concentrations élevées nécessaires à l’obtention d’un effet biocide peuvent modifier les caractéristiques sensorielles des aliments PAM, comme leur goût. Les résultats de la recherche sur l’efficacité des huiles essentielles contre L. monocytogenes et son biofilm sont mitigés. Les débris de nourriture dans les environnements de transformation alimentaire peuvent aussi interagir avec les huiles essentielles.
Méthodes de maîtrise pour les aliments PAM
Les traitements thermiques émergents comme les micro-ondes, les radiofréquences, le chauffage ohmique et l’injection de vapeur directe permettent de réchauffer rapidement les aliments tout en préservant leurs caractéristiques nutritionnelles et sensorielles. Certaines études ont démontré l’efficacité de ces méthodes contre L. monocytogenes dans certains aliments.
Les traitements non thermiques gagnent en popularité en raison de leur efficacité et de leur capacité à préserver les caractéristiques nutritionnelles et physiques des aliments. La pression hydrostatique élevée et les ultrasons sont des exemples de ce type de méthodes. La pression hydrostatique élevée consiste à appliquer une pression supérieure à 100 MPa à l’aide d’un liquide sous pression, comme de l’eau. Malgré l’efficacité établie des ultrasons à haute intensité pour la réduction du niveau de biofilm de L. monocytogenes sur les surfaces en acier inoxydable, cette méthode peut avoir une incidence sur la qualité des aliments en raison de la production de radicaux libres et de saveurs étrangères, et modifier la matrice alimentaire.
Le champ électrique pulsé (CEP) est un autre traitement non thermique émergent, qui utilise de brèves impulsions de haute intensité. Son efficacité dépend du pH et de l’intensité du champ électrique.
L’utilisation d’acides organiques, comme l’acide lactique, l’acide malique, l’acide citrique et l’acide acétique, jumelée à d’autres méthodes comme les ultrasons, l’ozone ou les huiles essentielles est une autre nouvelle méthode de maîtrise. L’incorporation d’acides organiques, d’huiles essentielles et de bactériocines dans les enrobages comestibles des aliments s’est également avérée efficace contre L. monocytogenes.
Ressources supplémentaires
L. monocytogenes continue de représenter un enjeu de taille pour les producteurs d’aliments. D’autres recherches devront être menées pour déterminer si ces nouvelles technologies de traitement sont efficaces pour éliminer L. monocytogenes des établissements de transformation alimentaire, réduire la fréquence des rappels d’aliments et prévenir les maladies potentiellement mortelles causées par cette bactérie invasive. Des renseignements supplémentaires sur les données de surveillance, les politiques et les recommandations, et des mesures de maîtrise détaillées sont disponibles ci-dessous :
- Mesures de contrôle contre Listeria monocytogenes dans les aliments prêts-à-manger
- Ressources sur la listériose de Santé publique Ontario
- Politique sur la présence de Listeria monocytogenes dans les aliments prêts-à-manger (2023)
- Directives pour l’application des principes généraux d’hygiène des denrées alimentaires à la maîtrise de listeria monocytogenes dans les aliments prêts à consommer