Des capteurs de CO2 peuvent-ils servir à évaluer les risques de transmission de la COVID-19?
La ventilation et la purification de l’air sont dorénavant reconnues comme des moyens importants d’atténuer le risque de transmission de la COVID-19 à l’intérieur d’un bâtiment. Par contre, de nombreux espaces publics n’ont pas de ventilation convenable, ou il se peut que les usagers ignorent l’état de la ventilation. Même si un certain nombre d’outils de calcul de la ventilation ont été mis au point pour aider à évaluer les besoins de ventilation, leur utilisation et leur mise en place nécessitent encore une certaine quantité de données et de connaissances techniques.
(généralement moins de 500 $) a été l’un des moyens mis de l’avant pour évaluer le risque de transmission de la COVID-19 à l’intérieur des bâtiments et de fait, certains gouvernements ont déjà émis des lignes directrices ou des conseils sur l’utilisation de capteurs de CO2 dans des lieux tels des écoles. Ce billet examine certains des avantages allégués en faveur de l’utilisation de capteurs de CO2 pour évaluer les risques de transmission et circonscrire certains inconvénients dont il importe de tenir compte.
Quel est le lien entre l’occupation d’un lieu et les concentrations de CO2?
La surveillance des taux de CO2 est une méthode reconnue pour évaluer si la ventilation d’un lieu est suffisante pour le nombre de gens qui occupent l’endroit. Même si les taux de CO2 peuvent varier entre 350 et 450 ppm en plein air, un groupe de personnes rassemblées et qui respirent à l’intérieur d’un bâtiment entraînera une accumulation de CO2 à des taux beaucoup plus importants, à moins que le problème ne soit corrigé par la ventilation. Plus il y a de gens qui occupent un espace et plus une activité physique donnée est intense, plus une ventilation accrue s’imposera pour maintenir le confort des occupants. Les taux de CO2 servent aussi de barème pour d’autres contaminants difficiles à détecter (par exemple, les dégagements gazeux de composés organiques volatils de matériaux utilisés dans un bâtiment) qui peuvent s’accumuler dans un espace clos. Enfin, les capteurs de CO2 peuvent servir à accroître l’efficacité énergétique, en permettant aux usagers de contrôler la ventilation par une valeur de consigne du CO2 (par exemple, 1 000 ppm), de sorte qu’une quantité suffisante d’air frais pénètre dans le bâtiment pour assurer le confort des occupants, mais pas au point d’induire une consommation excessive d’énergie pour le chauffage et la climatisation (par exemple, dans le cas d’une ventilation sur demande).
Le terme « confort », comme mentionné plus haut, désigne généralement la capacité pour les occupants d’un lieu à percevoir les « bio-effluents humains », autrement dit les odeurs corporelles, ainsi que le confort thermique. Parallèlement à l’augmentation des taux de CO2 à l’intérieur d’un bâtiment, une proportion plus grande d’occupants se sentira gênée par l’odeur ambiante et la sensation « d’étouffement », en l’absence d’un autre système de purification de l’air (par exemple, des filtres qui éliminent les odeurs). Bon nombre de professionnels de la qualité de l’air intérieur ont adopté la valeur repère de 1 000 ppm de CO2 comme norme d’une qualité de l’air intérieur acceptable, même s’il ne s’agit pas une norme officielle (bien qu’on le prétende souvent). La valeur proprement dite n’a pas d’importance particulière en matière de santé.
D’une manière générale, quelles sont les incidences des concentrations de CO2 sur la santé?
Même si les médias populaires ainsi que les auteurs de publications scientifiques allèguent souvent que les taux de CO2 à l’intérieur d’un bâtiment ont un effet négatif sur la qualité de l’air perçue, les facultés cognitives et le rendement au travail, les publications spécialisées qui examinent ces corrélations ne s’entendent pas sur le sujet. Par l’examen récent de 10 études, il a été établi qu’il n’y avait aucune relation dose-effet claire entre des taux de CO2 et les facultés cognitives, le rendement ou la perception de la qualité de l’air. À vrai dire, certaines études ont établi qu’il y avait amélioration du rendement à des taux de CO2 plus élevés. Fait intéressant, les auteurs Zhang et collab. ont constaté que l’exposition à des taux élevés de CO2 renfermant des bio-effluents humains était associée à une atteinte des facultés cognitives et à la perception d’une mauvaise qualité de l’air, mais l’exposition au CO2 à l’état pur aux mêmes concentrations n’induisait pas ces effets. Ceci laisserait entendre qu’un autre facteur en lien avec l’occupation humaine d’un lieu serait responsable des effets délétères d’une certaine « sensation d’étouffement » dans l’air ambiant intérieur.
Même si nous ne comprenons pas encore entièrement les liens entre les taux de CO2 et la santé humaine, il semble logique de déconseiller l’accumulation du CO2 et d’autres polluants de l’air dans des espaces clos. Les capteurs de CO2 peuvent jouer un rôle utile dans l’évaluation de la « fraîcheur » de l’air intérieur par rapport à l’extérieur, ce qui permettrait aux occupants d’un bâtiment de conserver autant d’air frais que possible, sans pour autant sacrifier leur confort thermique.
Y a-t-il de réels fondements aux allégations concernant les liens entre des taux de CO2 et la transmission de maladies infectieuses?
Puisque les concentrations de CO2 augmentent proportionnellement au nombre d’occupants d’un lieu et qu’un ou plusieurs de ces occupants pourraient être infectés, il semblerait logique de penser qu’un risque de maladie respiratoire augmenterait parallèlement à l’accroissement des taux de CO2 à l’intérieur d’un immeuble. En 2003, Rudnick et Milton ont présenté un modèle qui utilisait les taux de CO2 pour évaluer le risque de transmission par voie aérienne du virus de la grippe et d’autres maladies respiratoires. Depuis, de nombreuses études ont porté sur les liens entre les taux de ventilation, les taux de CO2 supposément présents et la transmission de maladies dans divers contextes, y compris un dortoir d’une école. Au cours de la pandémie de COVID-19, des chercheurs ont tablé sur ce travail pour estimer les risques de transmission du virus SRAS-CoV-2 dans des endroits clos comme des salons de manucure et des immeubles de bureaux selon le rythme respiratoire et les activités des occupants.
Ces études mettent en lumière l’importance de la détection du CO2 pour évaluer la ventilation en tant que facteur dans les risques de transmission. Toutefois, l’établissement d’un seuil de CO2 qui serait susceptible d’indiquer de manière fiable un risque élevé de contracter la COVID-19 est de nature plus complexe. Comme l’ont décrit les auteurs Peng et Jimenez, les niveaux d’activité des occupants et d’autres facteurs, comme l’usage d’un masque, rendent quelque peu problématique la sélection d’un seuil unique. Les auteurs suggèrent plutôt de miser sur un seuil ou des seuils fondés sur une activité. Dans le même ordre d’idées, un livre blanc récemment déposé par le Environmental Modelling Group du comité scientifique consultatif du Royaume-Uni sur les urgences (SAGE-EMG) a défini un certain nombre de facteurs susceptibles d’avoir une incidence sur les taux de CO2, mais non sur les risques de contracter la COVID-19, et vice-versa. Ainsi, la présence d’animaux domestiques ou d’appareils de combustion augmentera les taux de CO2, mais ne se traduira pas par un risque accru de contracter la COVID-19. Inversement, les risques de transmission de la COVID-19 pourraient être accrus par des activités comme le chant ou la présence d’une grande source d’émission rare, dont il est peu probable qu’elles aient une incidence de même ampleur sur les taux de CO2.
Les auteurs du document qui émane du groupe SAGE-EMG ont également relevé que l’utilisation du CO2 comme indicateur de l’efficacité de la ventilation pourrait ne pas offrir autant de certitude en particulier pour ce qui est des espaces comptant peu d’occupants, où l’apport individuel aux émanations serait susceptible d’avoir un effet global plus grand sur les fluctuations de CO2, et que la surveillance du CO2 ne rendrait pas nécessairement compte de la diminution des risques de transmission associés aux mesures comme des appareils de purification de l’air ou l’utilisation de masque. Dans l’ensemble, le groupe de travail a conclu que même si la détection des taux de CO2 pouvait certes être utile pour indiquer si un espace clos avait une quantité d’air frais de l’extérieur suffisante, il ne faudrait pas se fier aux taux de CO2 pour déterminer si un espace clos est suffisamment aéré pour atténuer les risques de transmission.
Les difficultés à utiliser des capteurs de CO2 pour cibler les espaces « mal aérés »
Même si les taux de CO2 peuvent se révéler problématiques pour ce qui est des risques de transmission, il peut être judicieux de recourir aux concentrations de CO2 pour déceler les espaces clos mal aérés ou, à long terme, prendre en priorité des mesures correctives. La question est de savoir à quel taux de CO2 il conviendrait de prendre des mesures correctives et ce qu’il faudrait faire si des lacunes de ventilation sont observées.
En Europe, il est recommandé de recourir à un simple stratagème de « feux de circulation » pour aider les occupants d’un immeuble à déterminer si la ventilation d’un espace clos est suffisante, même si les limites retenues correspondant à un feu « vert », « jaune » ou « rouge » sont quelque peu arbitraires. Dans les écoles allemandes, les taux de CO2 < 1 000 ppm se voient attribuer un feu vert; les taux compris entre 1 000 et 2 000 sont désignés par un feu jaune; finalement, les taux > 2 000 ppm reçoivent un feu rouge (l’organisme de normalisation REHVA recommande des limites de 800 ppm à titre de feu jaune et de 1 000 ppm à titre de feu rouge). Il convient toutefois de noter que ces limites ne servent pas à déclencher une mesure précise (par exemple, à un taux de 1 000 ppm, ouvrir les fenêtres; à 2 000 ppm, procéder à l’évacuation). Il est plutôt attendu que les occupants (le personnel enseignant et les élèves) surveilleront le capteur pendant la journée et s’efforceront de maintenir les taux de CO2 à un niveau aussi bas que possible, en ouvrant les fenêtres à intervalles périodiques. Abuhegazy et collab. ont constaté que l’ouverture des fenêtres était un moyen véritablement efficace pour abaisser la concentration des particules < 1 μ pendant un laps de temps de 15 minutes dans une salle de classe typique remplie d’élèves. Si l’ouverture de fenêtres est impossible, il serait peut-être envisageable d’installer un autre type d’équipement de ventilation (des ventilateurs aspirants, par exemple) au besoin. Les purificateurs d’air peuvent en outre réduire les risques de transmission si la ventilation est insuffisante, mais puisqu’ils ne peuvent éliminer le CO2, une amélioration dans la qualité de l’air ne serait pas apparente sur le capteur de CO2.
L’utilisation de capteurs de CO2 crée-t-elle une dépendance technologique?
L’utilisation d’un outil technologique comme un capteur peut aussi entraîner une dépendance technologique et faire en sorte de centrer l’attention sur la lecture du capteur, plutôt que de chercher à sensibiliser généralement les gens à la nécessité de diminuer les risques de transmission. Le risque de transmission de la COVID-19 repose sur un certain nombre de facteurs, et non seulement sur de mauvaises conditions de ventilation, comme peuvent le signaler des taux élevés de CO2. Et à vrai dire, la ventilation (à titre de solution pour contrer des taux élevés de CO2) ne permet en aucune façon d’atténuer le risque encore plus grand que comporte une interaction rapprochée avec une personne infectée, si une ou deux personnes sans masque sont proches l’une de l’autre. Par conséquent, si des capteurs de CO2 sont installés, il est important de savoir comment procéder sans modifier la perception des usagers quant aux risques globaux de la COVID-19 ou abaisser leur vigilance à l’égard des risques de transmission.
Ainsi, dans les écoles allemandes, le système de feux de circulation mentionné ci-dessus n’est pas conçu comme un dispositif permanent, mais plutôt comme un dispositif d’entraînement pour montrer aux occupants à quel moment il convient d’ouvrir les fenêtres pour rafraîchir l’air d’une salle de classe. Une fois que l’habitude est ancrée, le système de feux de signalisation doit être déplacé dans une autre salle de classe. Cet outil de formation est certes utile, dans la mesure où il incite les occupants à toujours être aux aguets de la qualité de l’air à l’intérieur de l’immeuble. Par contre, ce système peut tout aussi bien être un leurre, car les codes de couleurs seront inévitablement interprétés comme un indicateur de risques pour la santé (un feu vert est bon, un feu jaune sert d’avertissement et un feu rouge signale un danger). Comme il est décrit ici, dans un certain nombre de contextes, un feu de circulation peut virer au vert, alors que le risque de transmission de la COVID-19 est élevé. Par conséquent, au moment de déployer un système analogue aux feux de circulation, il faudrait également souligner l’importance de bien connaître l’ensemble des risques et des contraintes de la technologie.
Sommaire
De manière générale, il y a une faible corrélation entre les taux de CO2 dans un espace occupé et le risque de transmission de la COVID-19, en raison de plusieurs facteurs susceptibles d’influencer séparément chacune des deux variables. En dépit de ce constat, le faible coût de mise en œuvre d’une surveillance du CO2 et du recours à des niveaux stratégiques pour déclencher des mesures de ventilation peut aider à améliorer de façon globale la qualité de l’air intérieur. Il est par ailleurs possible, ce faisant, d’inciter les occupants à gérer de manière active la qualité de l’air intérieur. Toutefois, même s’il est facile d’effectuer la lecture d’un capteur de CO2 numérique, il demeure toujours possible d’en faire une interprétation erronée, et les gouvernements qui songent à déployer ce type de technologie devraient également penser à la mesure dans laquelle son utilisation a une incidence sur la compréhension des occupants à l’égard du risque de transmission de la COVID-19 et des gestes à poser pour le contrer.