Port des visières en public : Mieux qu'aucune protection, mais pas suffisant

Comme la proximité est parfois inévitable pendant la pandémie, l’utilisation d’équipement permettant à la fois de limiter l’émission de particules infectieuses (contrôle à la source) et d’éviter d’entrer en contact avec les particules d’autrui (protection individuelle) est devenue essentielle. L’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) recommande l’utilisation d’un couvre-visage non médical ou en tissu chaque fois que les individus sortent de leur domicile. Conformément à leurs directives, les couvre-visages non médicaux doivent être bien ajustés sur la bouche et le nez sans laisser de régions à découvert, tout en permettant aux personnes qui les portent de respirer sans entrave. Le but de ces couvre-visages est de diminuer à la fois le nombre de particules émises et de particules inhalées, mais sans l’efficacité d’un masque médical.
Un grand nombre de lieux de travail et d’individus ont cependant choisi d’utiliser des visières de protection, plus fréquemment utilisées en combinaison avec un masque, des gants et une blouse dans les établissements de soins de santé, au lieu d’un simple couvre-visage de type masque. Plusieurs raisons motivent ce choix. Les masques peuvent causer un inconfort, des difficultés respiratoires, des irritations cutanées et de l’acné. Chez certaines personnes, un masque peut déclencher des crises d’asthme ou d’anxiété ou embuer les lunettes, nuisant à la vision. Les masques entravent également les interactions interpersonnelles et la communication non verbale et peuvent accroître le sentiment de solitude, d’isolement et de frustration chez les personnes sourdes et malentendantes.
Les visières de protection, en revanche, réduisent les occasions de se toucher le visage et sont faciles à ajuster, rapides et simples à nettoyer et plus adaptées aux personnes souffrant de troubles cognitifs. De nombreuses écoles ont choisi d’utiliser des visières de protection pour faciliter l’apprentissage social et émotionnel des enfants, qui ont généralement plus de mal à s’adapter au port du masque. Les visières de protection bloquent également le contact des gouttelettes avec les yeux, que l’on considère désormais comme une porte d'entrée importante du SRAS-CoV-2. Finalement, elles peuvent être obtenues facilement et à peu de frais. Par contre, les visières de protection ne sont pas bien ajustées au visage, ce qui a suscité des inquiétudes quant au fait qu’elles ne réduiraient pas suffisamment le risque de transmission par gouttelettes ou particules plus fines. Le recours aux seules visières de protection serait potentiellement à l’origine d’une éclosion dans un restaurant en Suisse.
Quelles sont les preuves de l’efficacité des visières de protection comme méthode de contrôle à la source ou de protection individuelle?
Il existe peu de preuves de l’efficacité des seules visières de protection contre les maladies respiratoires, et la situation est d’autant plus compliquée que le rôle des aérosols dans la transmission de la COVID-19 est incertain. Santé publique Ontario a réalisé un examen rapide des directives concernant l’utilisation des visières de protection dans les établissements de soins de santé et a déterminé qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour déterminer s’il est possible de se fier sur les visières de protection pour le contrôle à la source ou comme équipement de protection individuelle (ÉPI). Plus récemment, Verma et collab. (2020) ont utilisé deux plans perpendiculaires de diffusion laser pour visualiser le flux de gouttelettes respiratoires entrant et sortant d’une visière de protection standard et de plusieurs autres dispositifs (deux masques chirurgicaux, un masque N95 et un masque N95 muni d’une soupape d’expiration). L’équipe a constaté que même si la visière de protection bloquait le jet d’exhalation d’un éternuement simulé dirigé vers l’avant, elle n’empêchait pas l’expulsion de gouttelettes par le bas du masque et la propagation à plusieurs pieds devant et derrière la source pendant environ 10 secondes. Le masque N95 est celui qui a permis le mieux de bloquer les gouttelettes; le masque muni d’une valve a libéré un flux de gouttelettes; et l’efficacité des deux masques chirurgicaux soumis au test a varié considérablement, témoignant peut-être des différences dans la qualité des matériaux. Ces résultats suggèrent que les visières de protection pourraient être l’une des options les moins souhaitables pour le contrôle à la source. En revanche, dans une étude préliminaire non examinée par des pairs, Ronen et collab. ont constaté que le fait de placer une visière de protection devant un simulateur de toux était aussi efficace qu’un masque chirurgical pour empêcher les particules d’atteindre un mannequin « respirant » non masqué placé droit devant à 60 cm; ils n’ont cependant pas mesuré d’autres points dans l’espace autour du simulateur de toux.
Afin d’évaluer la valeur des masques comme protection individuelle, Ronen et collab. (2020) ont installé une visière de protection intégrale sur un mannequin « respirant » et mesuré la taille et la concentration des gouttelettes qui ont réussi à atteindre ses voies respiratoires lorsqu’il était exposé à une toux simulée de face et de côté. Bien que la simulation ait révélé que la visière de protection était assez efficace pour bloquer les gouttelettes et les aérosols générés par une toux en direction du visage, elle offrait une protection moindre lorsque la toux provenait des côtés ou d’une distance de 30 cm au-dessus ou en dessous du visage, selon les dimensions de la visière. De façon similaire, Lindsley et collab. (2014) ont constaté que le port d’une visière de protection bloquait 96 % des particules les plus grosses qui auraient été immédiatement inhalées. La visière était toutefois moins efficace contre les petites particules, et son efficacité diminuait au fil des minutes, car les petites particules restantes se diffusaient dans l’espace et étaient entraînées derrière la visière.
Ainsi, bien que les visières de protection semblent procurer un certain avantage en bloquant le jet initial de particules expulsées lors d’une toux ou d’un éternuement, il ne s’agit peut-être pas d’une bonne option pour les interactions prolongées ou lorsqu’on occupe en continu un espace où les aérosols pourraient s’accumuler. Par ailleurs, comme les visières de protection sont moins efficaces pour bloquer les petites particules, leur utilisation pourrait être particulièrement problématique si le rôle des aérosols dans la transmission est plus important que ce que l’on croit actuellement. Comme les particules ont pu entrer et sortir des visières, cette étude souligne l’importance de prévoir une sorte d’appareil de filtration pour piéger ou éliminer les particules, ou au moins de combler autant que possible l’écart entre la visière et le visage.
Quel est le rôle des visières de protection comme outil de santé publique?
Pour le moment, l’ASPC indique que les visières de protection seules n’assurent ni protection individuelle ni contrôle à la source et qu’elles ne devraient être utilisées que si le port d’un masque est impossible (et seulement si elles protègent les côtés du visage et l’espace sous le menton). Cette position correspond à celle de nombreuses autres grandes organisation, dont les Centers for Disease Control (CDC) des États-Unis et l’Organisation mondiale de la Santé. Par contre, un argument a été avancé selon lequel le fait de recommander les visières de protection plutôt que les masques, et ce, malgré leur efficacité moindre, génèrerait un effet bénéfique pour la santé publique si une telle approche incitait davantage de personnes à se couvrir le visage en public. Ce pourrait être le cas si le non-respect des règles en matière de port du masque était élevé. Toutefois, une récente enquête en ligne menée auprès de plus de 1 500 Canadiens et Canadiennes a révélé qu’en septembre 2020, l’appui du port généralisé du masque obligatoire était passé à 83 %, soit 16 % de plus qu’en juillet 2020. Cela semble indiquer que la population canadienne n’est généralement pas opposée au port du masque et que, dans ces conditions, le masque devrait être la méthode préconisée tant pour le contrôle à la source que pour la protection individuelle.
Que faire lorsque le masque ou la visière de protection ne conviennent pas?
L’insatisfaction à l’égard des masques médicaux standard, des masques en tissu ou des visières de protection a conduit au développement d’un certain nombre d’autres options. On retrouve aussi bien des masques maison très improvisés que des produits ayant fait l’objet d’un processus de conception plus rigoureux. Le tableau ci-dessous présente la variété des solutions adoptées et relève certains avantages et désavantages potentiels à l’égard des recommandations de l’ASPC en matière de couvre-visages (matériaux qui respirent, ajusté sans laisser de régions à découvert, peut être attaché à la tête, facilité de nettoyage, confortable, ne requiert pas de se toucher le visage fréquemment). Pour une description plus complète des masques médicaux et couvre-visages non médicaux, veuillez consulter le guide du CCNSE, Les masques et la pandémie de COVID-19.
Exemples de masques modifiés ou de couvre-visages
Couvre-visages |
Avantages |
Inconvénients |
Mini masque coupé à la grandeur désirée à partir d’un masque médical; collé sur les lèvres et le nez; conçu par des dermatologues |
Permet de travailler sur la majorité du visage lors de procédures esthétiques ou dermatologiques |
La surface réduite de filtration peut rendre la respiration plus difficile ou décoller la colle; les petites particules pourraient toujours passer à travers le matériel non tissé; la colle peut irriter la peau. |
Masque à fenêtre translucide fait de tissu ou d’un matériel non tissé qui intègre une feuille de plastique |
Permet la communication non verbale, comme les sourires et la lecture sur les lèvres |
Plus la feuille de plastique est grande, moins le tissu occupe de surface pour filtrer l’air, ce qui aura pour effet d’expulser plus d’air par les bords. |
Écran buccal fait de plastique transparent, qui couvre seulement le nez, la bouche et le menton
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Permet la communication non verbale; presque invisible (aspect esthétique) |
Aucune capacité de filtration, tout l’air est expulsé par les bords de l’écran; protection de la bouche et du nez minimale à nulle, surtout en parlant à une personne plus grande que soi. |
Écran buccal transparent qui se moule au visage et dispose d’un mécanisme de filtration pour laisser entrer et sortir l’air |
Permet la communication non verbale; pas d’irritation causée par les cordons s’attachant aux oreilles; peu d’air expulsé par les bords |
Coûteux et peu répandu; irrite la peau; la capacité de filtration et l’étanchéité doivent être testées; incertitude par rapport au temps qu’il peut rester fixé au visage ou s’il reste fixé. |
Écran équipé d’un tissu drapé |
Permet la communication non verbale et le libre mouvement du visage; facilite la respiration; le tissu drapé sert à capturer les particules qui s’échapperaient des côtés |
Le tissu drapé est probablement mieux que rien, mais il ne faut pas s’attendre à ce qu’il empêche les petites particules de passer. |
Masque pour chorale en tissu comportant un espace extra large devant le nez et la bouche |
Permet le libre mouvement du visage et facilite la respiration; produit un son qui résonne |
Doit être bien ajusté pour rester en place sur le visage; le masque peut devenir moins efficace ou chaud si la personne chante plus fort. |
Dispositif qui couvre entièrement la tête, comme un masque de plongée couvrant tout le visage et équipé d’un filtre, ou casque fait à cette fin qui enveloppe toute la tête |
Conçus pour que l’air entre et sorte seulement à travers un appareil de filtration |
Des experts ont soulevé les effets psychologiques négatifs à la vue de ces dispositifs en public. |
Résumé
L’importance de se couvrir le visage ne fait que s’accroître à l’approche de notre premier hiver avec la COVID-19. Il faudrait se référer aux directives de l’ASPC lors du choix d’un couvre-visage pour s’assurer qu’il répond à ces critères. Cependant, le choix du couvre-visage approprié dépend d’un certain nombre de facteurs et le port d’un couvre-visage recommandé par l’ASPC n’est peut-être pas possible pour toutes les personnes ou dans toutes les situations. Si des individus doivent se fier uniquement à des visières de protection, les limites de ces protections doivent être clairement communiquées et leurs activités doivent être adaptées en conséquence. Enfin, il est important de comprendre qu’aucun couvre-visage ne constitue une protection suffisante ou adéquate sans la combinaison d’autres outils de base comme l’hygiène des mains, l’étiquette respiratoire et la distanciation physique.