Le port du masque et sa cessation pendant et après la pandémie de COVID-19
Plus d’un an et demi après l’arrivée du mot « COVID-19 » dans notre vocabulaire, nous parlons encore des masques, qui font aujourd’hui partie de notre vie quotidienne. Certaines personnes, préoccupées par la terminologie changeante, l’évolution des connaissances sur les principaux modes de transmission de la maladie et les risques d’exposition par inhalation d’aérosols, se sont mises à affirmer que seuls les respirateurs N95 pouvaient prévenir la transmission du SRAS-CoV-2. Serait-il pratique et efficace de recommander le port de ces masques dans la population? Que dit la littérature sur l’efficacité des différents types de masques, des nouveaux matériaux – comme les nanomatériaux – et des modifications des masques? Peut-on améliorer l’efficacité des masques en tissu ou chirurgicaux? Et quelle sera la place des masques dans le monde postpandémique qui nous attend, où la COVID-19 et d’autres maladies respiratoires pourraient être endémiques? Voilà quelques-unes des grandes questions qui sont abordées dans notre récente mise à jour intitulée Les masques et la pandémie de COVID-19 – État des connaissances et qui sont résumées dans ce billet d’accompagnement.
Quelles sont les dernières nouvelles sur le port du masque?
Notre revue initiale des données probantes sur le port du masque et la réduction de la transmission des maladies respiratoires (avril 2020) examinait une bonne partie des premières études sur le sujet. Ces études portaient sur la grippe, les syndromes grippaux et la protection des professionnels de la santé dans leur milieu de travail. La pandémie de COVID-19 a engendré une hausse substantielle des études sur le port du masque, en particulier des études expérimentales, observationnelles et de modélisation, ce qui a motivé la mise à jour de notre revue en octobre 2020 et, plus récemment, en mai 2021. Des études observationnelles menées dans divers milieux (p. ex., usines, environnements favorisant les contacts étroits, milieux communautaires) ont mis en lumière les avantages du port du masque, et des études de modélisation ont établi un lien entre le port du masque dans la communauté et la diminution du nombre de cas de COVID-19 et de la mortalité des suites de la maladie, comme mentionné dans notre mise à jour. Nous en savons maintenant plus sur les propriétés physiques des masques, ainsi que sur l’importance que revêtent les matériaux et un bon ajustement pour une filtration efficace. La littérature montre clairement que la capacité d’un masque à réduire la transmission des virus respiratoires dépend du type de masque et de son utilisation, l’ajustement et le port adéquat en influençant l’efficacité.
Quelles sont les dernières nouvelles sur les matériaux?
Nous avons assisté à une augmentation spectaculaire du nombre d’études expérimentales mesurant l’efficacité de filtration (EF) de centaines de matériaux domestiques, combinés ou non. L’efficacité des masques en tissu varie grandement, allant de moins de 5 % à plus de 90 % selon le type de matériau et le nombre de couches. La plupart des couvre-visages non médicaux bloquent bien les particules de grande taille, mais les masques en tissu de bonne qualité peuvent également bloquer certains aérosols. Les meilleurs d’entre eux sont faits de matériaux tissés serrés et de plusieurs couches confortables favorisant la respiration. Leur efficacité rivalise avec celle de certains masques chirurgicaux, mais généralement pas avec celle de respirateurs certifiés comme les N95.
Des fabricants ont proposé d’ajouter de nouveaux matériaux aux masques pour accroître le blocage des particules, la respirabilité ou l’action électrostatique, ou encore d’ajouter des antimicrobiens sous forme de nanoparticules. À ce jour, on dispose de peu de données probantes sur l’efficacité et l’innocuité des nanomatériaux utilisés dans les masques, et on se questionne sur l’exposition cutanée aux nanoparticules et sur leur inhalation. Santé Canada a d’ailleurs publié un avis, puis un rappel visant les masques qui contiennent du graphène ou de la biomasse de graphène en raison des risques d’inhalation de ce nanomatériau. Dans le cadre de son projet AgMask, Sciensano (institut de la santé belge) étudie actuellement le risque d’exposition aux nanoparticules des masques (p. ex., argent, dioxyde de titane). Des études sont également en cours afin de connaître le risque d’inhalation d’autres matériaux, comme les microplastiques.
L’ajustement, un facteur important
Le corpus croissant d’études sur l’efficacité des masques a mis en évidence l’importance d’un bon ajustement. Un masque de grande qualité ne filtre que les particules présentes dans l’air qui le traverse; l’air qui passe par un trou ou une fuite atteindra donc le nez ou la bouche sans être filtré. Bien que les respirateurs N95 (ou les masques équivalents) certifiés et bien ajustés offrent la meilleure protection dans des conditions contrôlées, de nombreux facteurs peuvent réduire leur efficacité en contexte réel. Quand l’environnement est contrôlé, les travailleurs de la santé subissent un test d’ajustement pour être certains que les respirateurs utilisés conviennent à la forme et à la taille de leur visage, et ils apprennent à en vérifier l’étanchéité chaque fois qu’il en portent. Or, en milieu communautaire, les sujets (le public) ont peu de chances de faire l’objet d’une évaluation de l’ajustement. Les personnes ayant un petit visage ou des poils faciaux peuvent avoir de la difficulté à trouver un respirateur bien ajusté, et celles ayant une bonne barbe risquent ne pas en trouver du tout – tous les respirateurs échoueraient à l’évaluation. Il est également peu probable que les membres du public aient facilement accès à des services d’évaluation de l’ajustement ou soient formés pour la vérification de l’étanchéité. Même chez les professionnels de la santé formés à cet effet, la vérification ne permet pas toujours la détection des fuites, ce qui peut grandement nuire à l’efficacité.
L’ajustement des masques est devenu le sujet de nouvelles études qui examinent la modification des masques ou le port simultané de deux masques pour améliorer l’EF. Brooks et coll. ont montré que le port d’un masque en tissu de trois épaisseurs par-dessus un masque d’intervention comptant lui aussi trois épaisseurs bloquait 85,4 % des aérosols, comparativement à 51,4 % pour un masque en tissu seul et à 56,1 % pour un masque d’intervention seul. Le port de deux masques par le sujet infecté et le sujet exposé réduisait de 94,5 % l’exposition globale. Les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) des États-Unis ont formulé des directives concernant le port de deux masques, dans lesquelles ils recommandent le port d’un masque d’intervention sous un masque en tissu pour maximiser les avantages. Il a également été démontré que certaines modifications des masques, par exemple l’utilisation d’attaches, de bandes d’ajustement ou de moules qui font qu’ils épousent mieux le visage, réduisaient de façon significative les fuites et améliorait l’EF. Dans certaines études, les masques d’intervention et les masques chirurgicaux modifiés avaient une EF supérieure à 80 %, et la réduction de l’exposition globale était plus importante lorsque l’émetteur de particules et le sujet exposé portaient tous deux un masque modifié.
L’adoption de bonnes habitudes relatives au port du masque
Les mauvaises habitudes relatives au port du masque, comme porter le masque sous le nez ou le menton, baisser le masque pour parler, tousser ou éternuer, ou ne pas se laver les mains avant de mettre ou de retirer un masque, sont devenues monnaie courante. Le port inadéquat pourrait réduire le contrôle à la source et l’effet protecteur conférés par le masque. À ces facteurs s’ajoute le degré de confort du masque, potentiellement important dans le maintien de l’effet protecteur. En effet, l’inconfort peut mener au réajustement fréquent du masque et est l’une des principales raisons du non-port ou de l’adoption de mauvaises habitudes. Les masques en coton, de même que les masques d’intervention ou chirurgicaux, sont souvent plus confortables que les respirateurs et peuvent donc favoriser l’adoption de bonnes habitudes, en particulier le port en tout temps.
La recommandation de l’utilisation communautaire de respirateurs N95 ou de masques équivalents soulèverait des questionnements quant à la possibilité d’atteindre une EF de 95 % dans la population générale, considérant le risque de port inadéquat et les difficultés liées à l’ajustement mentionnées plus tôt. Il faudrait évaluer la protection offerte au public par les respirateurs N95 en contexte réel, et la comparer à celle offerte par les masques chirurgicaux ou non médicaux de bonne qualité bien ajustés, combinés à d’autres mesures préventives comme la sensibilisation à un ajustement adéquat et à l’adoption de bonnes habitudes et la reconnaissance des situations à haut risque où le port du masque est particulièrement bénéfique (p. ex., espaces intérieurs, achalandés ou mal ventilés).
Le port du masque est-il là pour rester?
Au fur et à mesure que les taux de vaccination augmentent dans le monde, nous voyons un assouplissement des mesures non pharmaceutiques (MNP) comme les restrictions visant les déplacements, la distanciation physique, la fermeture des écoles et le port du masque. Bien que cet assouplissement soit bien accueilli par beaucoup de gens, certains se demandent si la cessation du port du masque arrive trop tôt. Au début mai 2021, les CDC des États-Unis ont annoncé que les exigences relatives au port du masque dans les milieux intérieurs et extérieurs seraient relâchées pour les personnes entièrement vaccinées, sauf si des lois ou des règlements fédéraux, d’État, locaux, tribaux ou territoriaux exigent le contraire. Le port du masque serait par exemple maintenu dans les avions et les transports en commun. Le raisonnement scientifique motivant la décision d’éliminer le port du masque repose sur la capacité démontrée des vaccins à réduire les infections et la transmission symptomatiques et asymptomatiques. Jusqu’ici, les exigences ont été levées graduellement, d’abord dans les endroits extérieurs où elles pouvaient l’être, puis ailleurs par la suite.
Une source d’inquiétude qui demeure est la possibilité que de nouveaux variants préoccupants émergent alors qu’une bonne partie de la population n’est pas encore vaccinée. Un rapport du collectif britannique SAGE sur le port du masque et les variants préoccupants a indiqué que le mode de transmission du SRAS-CoV-2 n’a pas changé, mais que la transmissibilité accrue de ces variants implique probablement qu’une exposition plus courte et à plus faible dose pourrait entraîner une infection. On ignore encore quelle sera l’efficacité des vaccins actuels contre les futurs variants préoccupants, ce qui montre la nécessité d’une levée graduelle des recommandations relatives au port du masque. Des modèles ont aussi montré que même les personnes vaccinées courent un risque d’infection tant que la transmission communautaire du virus reste élevée. Avec leur modèle, Patel et coll. ont constaté que l’abolition des MNP avant l’obtention d’une couverture vaccinale élevée (p. ex., plus de 75 % de la population) pourrait faire augmenter de façon substantielle les taux d’infection, d’hospitalisations et de décès. Moore et coll. ont quant à eux fondé leur modèle sur des données épidémiologiques du Royaume-Uni et ont montré que la vaccination ne suffirait pas à maîtriser la transmission du virus à elle seule et que les MNP devraient être maintenues pendant qu’elle a lieu.
Maintenant, quelle sera la place des masques dans le monde postpandémique qui nous attend, où la COVID-19 et d’autres maladies respiratoires pourraient être endémiques? Nous avons été témoins des bienfaits des mesures de santé publique sur le taux d’infections respiratoires, bienfaits qui se sont notamment traduits par la diminution du nombre de cas de grippe et d’autres infections respiratoires au cours de la dernière saison grippale. Cette diminution s’expliquerait probablement par l’effet cumulatif des diverses MNP, quoique le port du masque pourrait avoir joué un rôle central. De nombreuses personnes choisiront peut-être de continuer à porter un masque dans les endroits publics achalandés, lors de rencontres en grand groupe, dans les transports en commun ou pendant la saison grippale. Leur choix pourrait dépendre de facteurs comme le confort du masque, les conséquences de celui-ci sur la communication avec les autres et la perception du risque selon le milieu (transports en commun, établissements de santé ou de soins de longue durée, etc.). Tant que les masques feront partie de notre vie, il faudrait rappeler au public les avantages des masques de bonne qualité ainsi que l’importance d’un bon ajustement et de bonnes habitudes.
Voir aussi : Les masques et la pandémie de COVID-19 – État des connaissances