L’été vient : Fumée de feux de forêts et COVID 19

Dans la populaire série Le trône de fer, c’est un mauvais signe quand quelqu’un dit « l’hiver vient », et j’ai le même sentiment quand je pense à l’été 2020. J’ai encore en tête les saisons des feux de forêt catastrophiques de 2017 et 2018, et l’intersection possible entre une autre catastrophe du genre et la pandémie de COVID-19 m’empêche de dormir.
J’ai commencé à étudier les effets sur la santé de la fumée de feux de forêt en Colombie-Britannique en 2003, une saison record. Cette année-là, plus de 265 000 hectares ont brûlé, 45 000 personnes ont été évacuées, 334 maisons et entreprises ont été perdues et trois premiers répondants sont décédés en service. L’enquête provinciale Firestorm 2003, signée par l’ex‑premier ministre Gary Filmon, a été commandée à la suite de ce désastre. Ce rapport a mis en lumière la vulnérabilité des forêts britanno-colombiennes aux feux de forêt extrêmes en raison de l’accumulation d’éléments combustibles, de l’infestation de dendroctones du pin ponderosa et des changements climatiques. Le mot « smoke » (fumée) apparaît exactement deux fois dans Firestorm 2003, dans les deux cas pour déconseiller une augmentation du brûlage dirigé dans la province. Le rapport ne mentionne aucunement la pollution extrême causée par la fumée, qui a persisté plusieurs semaines sur la région du sud-ouest intérieur, ni ses conséquences sur la santé publique, sujet de ma thèse de doctorat.
La fumée de feux de forêt est la cause des pires épisodes de mauvaise qualité de l’air au Canada. Les études montrant que l’exposition à la fumée est associée à de nombreuses issues de santé négatives, comme les marqueurs subcliniques d’inflammation systémique ou la mortalité prématurée, s’accumulent rapidement. Les récentes estimations nationales suggèrent que les conséquences économiques pendant les saisons des feux intenses dépassent de loin le milliard de dollars. En Colombie-Britannique, sur les 17 derniers étés, 5 saisons ont surpassé le record établi en 2003, et la majorité de la province a été couverte de fumée pendant plusieurs mois. D’habitude, ces tendances alarmantes me font penser aux rôles du changement climatique et des pratiques d’aménagement forestier. Ce n’est toutefois pas le cas cette année. En 2020, je veux me pencher sur l’interrelation entre les effets de la fumée de feux de forêts et la COVID-19, et aux trois choses qui m’inquiètent le plus :
- Premièrement, l’exposition à la pollution de l’air nuit à la fonction immunitaire, ce qui rend plus difficile la lutte contre les infections. Dans une population exposée à la fumée de feux de forêt et au nouveau coronavirus, un plus grand nombre de personnes pourrait développer la COVID-19, et les cas pourraient être plus graves.
- Deuxièmement, les personnes les plus vulnérables à la COVID-19 sont aussi les plus vulnérables à la fumée de feux de forêt : les personnes atteintes de maladies chroniques, particulièrement les maladies respiratoires, les personnes âgées très fragiles et toute personne qui vit une instabilité résidentielle.
- Troisièmement, notre infrastructure de santé publique a une capacité limitée à tenir compte de la fumée de feux de forêt pour le moment. Tout le monde se concentre sur la menace claire et immédiate qu’est la COVID-19, et la menace de la fumée semble lointaine et incertaine en comparaison.
Comme durant toute autre saison des feux, la meilleure chose à faire pour protéger la santé des gens et de la population est de se préparer à l’été qui arrive. La réduction de l’exposition est essentielle pour réduire les conséquences sur la santé de la fumée de feux de forêt, et la qualité de l’air intérieur est notre meilleur moyen de défense. Il est possible de créer des abris antifumée à la maison en suivant des directives simples et en utilisant un épurateur d’air portatif. Les grands établissements comme les foyers de soins de longue durée et les centres de soins de courte durée devraient consulter un professionnel des systèmes de chauffage, de ventilation et de climatisation (CVC) pour établir un plan en cas de fumée de feux de forêt et pour veiller à se procurer tout le matériel nécessaire pour les mois d’été (cette étape pourrait prendre plus de temps que prévu en raison des bouleversements dans les usines et les chaînes d’approvisionnement partout dans le monde).
Le plus important est de commencer MAINTENANT afin que les systèmes soient prêts si la fumée arrive, ce qui sera probablement le cas. Il s’agit d’une excellente occasion pour les agents de santé environnementale (ASE) et les agents au traitement des permis de mettre à profit leur expertise et la richesse de leurs relations dans la communauté. Ces personnes sont essentielles au déroulement harmonieux des activités quotidiennes en santé publique au Canada, et elles peuvent établir des bases solides pour informer la population sur le terrain et aider les gens à se préparer à changer concrètement les choses.
Enfin, je veux revenir sur la question du changement climatique. Les feux de forêt ont été anormalement intenses en Colombie-Britannique deux des quatre dernières années. Les facteurs ayant contribué à la gravité de ces feux sont multiples et complexes, mais le changement climatique a joué un rôle de premier ordre. Nous vivons maintenant à une époque où nous devons nous attendre à ce que chaque été amène une saison des feux sans précédent. Nous pouvons espérer un meilleur scénario, mais nous devrions nous préparer au pire. Croisons les doigts pour 2020 et mettons-nous au travail.
À propos de l’auteure
Sarah Henderson, Ph. D., est chercheuse principale en santé environnementale au Centre de contrôle des maladies de la Colombie-Britannique. Elle dirige un programme de recherche appliquée et de surveillance pour favoriser la mise en place de bonnes politiques de santé environnementale dans la province. Son expertise couvre de nombreux domaines, et elle est reconnue sur la scène internationale comme une experte de l’exposition à la fumée de feux de forêt et de ses conséquences pour la santé publique.