Les punaises de lit sont de retour
En 2023, l’importante couverture médiatique des infestations de punaises de lit en France et en Corée du Sud accompagnée d’une psychose sur les médias sociaux ont remis ces arthropodes nuisibles sous le feu des projecteurs. Les punaises de lit sont des insectes nuisibles, mais le dégoût qu’elles inspirent est-il disproportionné au regard des préoccupations réelles pour la santé publique, ou faudrait-il redoubler d’efforts pour prévenir et maîtriser leur propagation? Ce billet de blogue apporte du contexte et met en lumière des informations et des ressources récentes pour les professionnels de la santé publique environnementale (PSPE), dont un guide thématique actualisé du CCNSE sur les punaises de lit.
Que sont les punaises de lit?
Les punaises de lit sont de petits insectes sans ailes, au corps plat et d’un brun rougeâtre qui peuvent atteindre une taille de 10 mm. Capables de survivre plusieurs mois sans manger, elles se nourrissent du sang d’animaux ou d’humains et s’épanouissent dans les espaces intérieurs chauds (de 21 à 31 °C) – dans des conditions optimales, une colonie peut doubler en 16 jours. Deux espèces sont responsables de la majorité des éclosions dans le monde : Cimex lectularius, plus fréquente dans les pays nordiques comme le Canada, et Cimex hemipterus, recensée principalement dans les climats tropicaux.
Pourquoi cette résurgence?
Présentes dans les habitations humaines depuis des millénaires, les punaises de lit sont probablement arrivées au Canada avec les premiers colons venus d’Europe. Après la Seconde Guerre mondiale, de nombreux pays développés les ont quasiment éradiquées en utilisant des pesticides comme le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT), qui élimine les insectes et prévient leur retour. Ce type de pesticide est interdit depuis longtemps, mais d’autres l’ont remplacé. Au début des années 2000, les punaises de lit ont commencé à réapparaître partout dans le monde, y compris dans de nombreuses villes du Canada, où leur prévalence ne fait qu’augmenter du Nord au Sud depuis cette époque. De nombreux facteurs expliquent ce phénomène :
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Résistance aux pesticides : Les punaises de lit ont acquis une résistance à de nombreux pesticides, y compris aux insecticides courants de la famille des pyréthrinoïdes; la lutte chimique devient donc de plus en plus difficile. |
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Hausse du commerce et des déplacements internationaux : Les punaises de lit, sont capables de parcourir de longues distances en se dissimulant dans les vêtements, les meubles et les bagages. Pendant la pandémie de la COVID-19, la chute du nombre de voyages internationaux a coïncidé avec une baisse des infestations, mais les punaises rattrapent à présent le temps perdu. Au Royaume-Uni, le nombre d’éclosions a grimpé de 65 % entre 2022 et 2023, en parallèle avec la mobilité accrue après la pandémie. |
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Attention médiatique : La couverture médiatique périodique des punaises de lit, alimentée par des publications virales sur les médias sociaux, entraîne une sensibilisation accrue du public susceptible d’entraîner un bond des signalements. |
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Responsabilités fragmentées : Selon les régions, la lutte contre les punaises de lit peut être réglementée par les municipalités, relever des locateurs, des locataires ou des organismes d’aide au logement, et être ou non sous l’autorité de la santé publique. Dans certains cas, un contrôle lacunaire et des mesures de maîtrise inadaptées ou incomplètes peuvent entraîner la survie et la prolifération de l’insecte. |
Quels sont les lieux particulièrement à risque?
Les infestations peuvent persister et se propager facilement dans les bâtiments et établissements utilisés pour se rassembler ou dormir, en particulier les logements et les hôtels. Ces dernières années, d’autres lieux comme des édifices publics, des résidences universitaires, des centres d’isolement pour la COVID et des bibliothèques ont aussi été infectés. Les infestations concernent majoritairement les appartements, notamment les HLM, et peuvent être difficiles à traiter. Les enfants, les personnes âgées et handicapées, les familles immigrantes et les personnes socioéconomiquement défavorisées peuvent avoir un risque d’exposition accru et une capacité à réagir moindre. Le coût du traitement est parfois prohibitif, tandis que le manque de suivi ou de surveillance périodique dans tout l’immeuble favorise les problèmes chroniques.
Quels sont les risques pour la santé?
La punaise de lit ne transmet pas d’agents pathogènes pour les humains, mais est un parasite préoccupant pour la santé publique. Des études ont montré que les punaises étaient porteuses de bactéries, de champignon, de virus et de parasites, y compris de bactéries résistantes aux antimicrobiens comme le SARM. Jusqu’ici, rien ne permet d’affirmer que les morsures ou les excréments peuvent transmettre des maladies humaines, mais elles entraînent parfois des effets indésirables sur la santé comprenant des irritations, des réactions allergiques et des conséquences psychologiques plus graves.
Les personnes qui vivent dans un environnement infesté souffrent parfois d’insomnie, d’anxiété, de dépression ou d’isolement social. Les cas les plus graves associés aux punaises de lit étaient corrélés à une détresse psychologique, à de mauvaises conditions de vie et à la négligence. Par exemple, Burrows et son équipe (2013) ont rapporté le suicide d’une femme dont l’état psychologique découlait probablement d’une infestation de punaises de lit. La négligence a en outre été retenue comme la cause du décès d’un prisonnier dans une cellule infestée en Géorgie et d’une femme de 96 ans en Pennsylvanie ayant contracté un sepsis en raison de nombreuses morsures subies dans un logement infesté.
Des méthodes de lutte dangereuses ou utilisant des pesticides non homologués ont aussi mené à des drames. En 2015, à Fort McMurray, en Alberta, le recours à un pesticide à base de phosphine importé illégalement pour éradiquer des punaises de lit dans un appartement a entraîné la mort d’un bébé de huit mois et d’un enfant de deux ans, et rendu malade d’autres membres de la famille, ce qui a mené à la publication d’un avis de sécurité de Santé Canada sur l’utilisation d’insecticides non homologués pour la lutte contre les punaises de lit. En 2018, un couple britannique en vacances en Égypte est décédé d’empoisonnement au monoxyde de carbone en raison de la pulvérisation de lambda-cyhalothrine (pesticide de la famille des pyréthrinoïdes) dilué avec du dichlorométhane pour éradiquer les punaises de lit dans une chambre d’hôtel adjacente.
Quelles sont les stratégies de lutte les plus efficaces?
Les méthodes chimiques sont souvent privilégiées pour se débarrasser rapidement des punaises de lit, mais, en raison de la diminution de l’efficacité due à la résistance aux pesticides et aux risques pour la santé en cas de mauvaise utilisation, la prévention et les mesures de maîtrise sans produits chimiques sont préférables. Ces dernières méthodes sont plus sécuritaires et peuvent s'avérer moins coûteuses que les méthodes chimiques. La Stratégie collaborative sur les punaises de lit de l’Environmental Protection Agency des États-Unis définit quatre domaines prioritaires pour lutter contre les punaises de lit, domaines repris dans l’approche complète et collaborative de nombreux organismes :
- Prévention : Les mesures de prévention consistent à sensibiliser aux facteurs de risque d’introduction des punaises de lit par les bagages, les meubles et d’autres biens et à donner des conseils pour les empêcher de s’installer (aspirer régulièrement, isoler les bagages, les lits ou les membres, réduire le désordre). Le signalement des infestations de punaises de lit par les propriétaires aux organismes de santé publique ou de logement pourrait en prévenir la prolifération dans les locations en forçant les locateurs à suivre des mesures de maîtrise et prévention. À New York, où le signalement annuel est obligatoire, cela aurait contribué à une baisse de 50 % du nombre de plaintes mensuelles liées au parasite entre 2014 et 2020.
- Surveillance et lutte antiparasitaire intégrée (LAI) : La détection des infestations au plus tôt accroît les chances d’éradication tout en en atténuant les coûts. Les mesures de surveillance comprennent des détecteurs, des pièges, des sondages auprès des résidents, voire des chiens renifleurs. La LAI est une approche à plusieurs volets consistant à déployer des méthodes de maîtrise non chimiques et, en dernier recours, à utiliser des pesticides prudemment. Les méthodes non chimiques sont très variables : traitement thermique sous différentes formes pour éliminer les punaises de lit adultes et les œufs, vaporisateurs dessiccateurs comme la terre de diatomée, pièges adhésifs, huiles essentielles ou lutte biologique émergente. Santé Canada met en garde contre le recours aux générateurs d’ozone. Les objets (p. ex., appareils électroniques) ou environnements (p. ex., véhicules, contenants) difficiles à traiter peuvent nécessiter d’autres techniques, telles que la fumigation.
- Éducation et communication : De nombreux groupes touchés par des infestations de punaises de lit ne connaissent pas les mesures de prévention et de maîtrise. Pour les aider à bien déployer les mesures destinées aux particuliers, il est utile de communiquer clairement les risques et les meilleures pratiques. Le guide détaillé Controlling Bed Bugs contenant des images et une liste de contrôle est un excellent exemple. Une bonne communication, des inspections périodiques et des mesures de suivi aident à lutter contre les infestations persistantes.
- Recherche : Étant donné que les punaises de lit deviennent de plus en plus résistantes aux traitements chimiques, davantage de recherches sur leur biologie et sur les mesures de maîtrise sont nécessaires, y compris sur le rôle potentiel du changement climatique sur la distribution ou sur la persistance de l’espèce, ainsi que sur les effets des morsures sur la santé et la transmission de maladies par les punaises de lit, y compris de bactéries résistantes aux antimicrobiens.
En se tenant au fait des pratiques exemplaires et de la recherche sur les punaises de lit, les inspecteurs de la santé publique peuvent plus facilement éduquer et guider le public sur la prévention, les mesures de maîtrise et les risques. Les PSPE sont aussi appelés à élaborer des stratégies d’élimination des infestations persistantes qui nécessitent la collaboration de nombreux groupes, dont les résidents, les exploitants de bâtiments et les professionnels en lutte antiparasitaire.
Pour plus d’information et de ressources sur les punaises de lit destinées aux PSPE, consultez le guide thématique du CCNSE sur les punaises de lit.