Effets des postes électriques souterrains sur la santé
Des citoyens et des municipalités ont communiqué avec le bureau de santé publique de leur région, car ils s’inquiétaient de la proposition d’un fournisseur d’électricité, qui songeait à construire un poste électrique souterrain en zone urbaine, près d’une école primaire et d’un terrain de jeu.
1. Contexte – Postes électriques et champ électromagnétique
2. Recherche documentaire
3. Quels sont les effets de l’exposition aux champs magnétiques ELF sur la santé?
4. Quel pourrait être le niveau d’exposition de la population aux champs magnétiques ELF émis par les postes souterrains?
5. Y a-t-il des lois sur l’exposition du public aux champs magnétiques ELF?
6. Le principe de précaution devrait-il être appliqué?
7. Conclusion
Auteurs
Remerciements
Références
1. Contexte – Postes électriques et champ électromagnétique
Les postes électriques servent au transport et à la distribution de l’électricité, et sont généralement construits au-dessus du sol. Compte tenu de la demande croissante en électricité dans les zones urbaines densément peuplées, du peu de terrains disponibles et des coûts liés à l’achat de ces terrains, l’enfouissement des postes est une solution envisageable.
Des postes sous la terre et en sous-sol existent, mais ils sont rares. Au Canada, le premier ouvrage du genre est entré en fonction en 1984. Situé au parc Cathedral Square, au centre-ville de Vancouver, il se trouve sous une fontaine, des sentiers pédestres et une aire gazonnée. Au centre-ville de Toronto, on construit présentement la Copeland Station sous un atelier d’usinage existant1. Aux États-Unis, le premier poste électrique souterrain, construit en 2011, est enfoui sous un parc de deux acres à Anaheim2. D’autres postes souterrains sont actifs ou prévus à Tokyo3 et à Singapour4. Celui de Francfort, en Allemagne, est surmonté d’un espace vert et d’un jardin5.
Dans les postes de distribution, un transformateur réduit la tension électrique (processus à plusieurs étapes) et augmente le courant avant que l’énergie ne soit acheminée aux consommateurs6. À une fréquence de 60 Hz, l’électricité voyage dans le réseau électrique, comprenant les lignes et les postes, en émettant un rayonnement non ionisant sous forme de champ électromagnétique de fréquence extrêmement basse (ELF). Les ELF sont les fréquences inférieures à 300 Hz sur le spectre électromagnétique7.
Un champ électromagnétique est une onde d’énergie produite par le déplacement dans l’espace de particules chargées électriquement. En effet, pour créer un champ, une particule chargée doit être en mouvement. Par exemple, dans le courant alternatif de 60 Hz (cycles par seconde) du réseau d’alimentation, les particules oscillent, générant des champs électromagnétiques variant dans le temps. Plus la charge et la vitesse des particules sont élevées, plus l’intensité du champ magnétique est forte. Cette intensité se mesure généralement en teslas (T), et plus communément en microteslas (µT), qui sont des millionièmes de tesla8.
Comme les champs électriques et magnétiques de fréquence réseau peuvent induire de petits courants électriques qui circulent dans l’organisme, certains s’inquiètent de leurs effets sur la santé humaine9. Contrairement aux champs électriques, les champs magnétiques franchissent facilement les obstacles tels que les murs, les bâtiments et le sol; c’est pourquoi l’exposition à ce type de champ et ses risques pour la santé constituent la principale préoccupation dans ce dossier.
Une courte recherche documentaire a été menée visant l’exposition aux champs magnétiques ELF produits par les postes électriques et leurs effets sur la santé, de même que les lignes directrices et les règlements sur le sujet. Les bases de données MEDLINE, CINAHL (EBSCO), Web of Science, Google et Google Scholar ont été interrogées à l’aide de la syntaxe et des mots-clés suivants : « substation » « power line » OR « transmission » AND « electromagnetic » « magnetic » OR « extremely low frequency » AND (« health » « cancer » « leukemia » « children » OR « exposure »). Les documents retenus étaient des revues de recherche scientifique publiées après 2014, des rapports sur des mesures de champs magnétiques ELF et des lignes directrices nationales et internationales. Les études sur les effets des radiofréquences ou d’autres fréquences non extrêmement basses, les études et les revues qui n’étaient pas en anglais et la recherche originale sur des animaux ou des lignées cellulaires humaines ont été exclues.
3. Quels sont les effets de l’exposition aux champs magnétiques ELF sur la santé?
Comme les postes électriques souterrains sont peu nombreux en Amérique du Nord, ils ont jusqu’à maintenant suscité peu d’inquiétude dans la population. Toutefois, l’exposition des enfants aux champs magnétiques ELF dans les espaces verts situés au-dessus des postes ou dans les écoles et services de garde avoisinants est certainement un facteur à considérer. Puisque les enfants sont généralement vus comme plus vulnérables aux éléments auxquels les expose l’environnement, dont les champs électromagnétiques, et que les champs ELF peuvent traverser la plupart des matériaux, l’exposition à ce type de rayonnement non ionisant est particulièrement inquiétante. À ce sujet, notons que d’autres éléments liés à la santé environnementale pourraient être pertinents mais ne seront pas discutés ici, notamment le risque de bruit, d’incendie10 et de vulnérabilité sismique11 associé aux postes souterrains.
Les études scientifiques ne s’entendent pas sur la possibilité que l’exposition prolongée à des champs magnétiques ELF de faible intensité ait des effets sur la santé. Voici un résumé des principales conclusions de quelques-uns des rapports et revues examinés.
- Aux fréquences extrêmement basses du spectre (≤ 300 Hz), les champs électriques et magnétiques, pris séparément, ne causent ni réaction photochimique ni réchauffement des tissus. Ils ne sont donc pas considérés comme capables de nuire à la santé12.
- En 2002, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a classé l’exposition aux champs magnétiques ELF comme étant « possiblement cancérogène pour l’humain » (groupe 2B). Sa principale justification : il existerait peu de données épidémiologiques associant ces champs et la leucémie infantile, qui est le type de cancer le plus répandu chez les enfants et les jeunes13.
- Une revue de 201614 a appuyé la classification dans le groupe 2B proposée par le CIRC, citant plusieurs études récentes ayant observé une association entre les niveaux d’exposition quotidienne moyens supérieurs à 0,3-0,4 µT et la leucémie chez les enfants. Cependant, il est impossible d’établir une relation de cause à effet, parce que la présence de biais, notamment de biais de sélection, est toujours matière à controverse. De plus, les données sur les mécanismes d’action ne sont pas pertinentes, car elles sont tirées d’études expérimentales sur des modèles animaux14.
- Une étude réalisée du Royaume-Uni15 a aussi observé une association entre l’exposition aux lignes à haute tension et la leucémie infantile, même pour des distances allant jusqu’à 600 m. Ce résultat est toutefois suspect puisqu’on ne détecte généralement aucun champ magnétique à plus de 100 m du centre de la ligne16. De plus, aucune corrélation entre la leucémie et les lignes souterraines n’a été observée, et les effets étaient moindres vers la fin de la période de l’étude15.
- L’analyse d’un groupe de 10 études portant sur l’association entre l’exposition aux champs magnétiques et le développement de tumeurs cérébrales chez les enfants n’a pu conclure à une augmentation du risque due à une discordance dans les données17.
- Une revue sur le risque d’infertilité et les problèmes liés à la grossesse associés à l’exposition aux champs magnétiques ELF a souligné les limites des différents modèles d’étude et les contradictions dans les résultats, notamment le fait que certaines études (pas toutes) montraient une corrélation positive entre l’exposition et les avortements spontanés18.
- Selon le Comité scientifique des risques sanitaires émergents et nouveaux, les données ne permettent pas d’attester l’existence d’un lien causal entre l’exposition aux champs magnétiques ELF et les symptômes autodéclarés19.
- À l’exception d’une étude transversale iranienne20, aucun article n’a associé de problèmes de santé à l’exposition au champ magnétique émis par les postes électriques souterrains. Cette étude a évalué les fonctions cognitives des enfants selon la proximité entre leur école et un poste souterrain. Les élèves de deux écoles de Téhéran situées près d’un poste à haute tension (distances de 30 et 50 m; intensité moyenne du champ de 0,245 μT dans les deux cas) avaient une moins bonne mémoire de travail que ceux des écoles témoins (distances de 610 et 1 390 m; champ magnétique de 0,164 μT). La fiabilité de ce résultat est discutable, car les capacités cognitives dépendent de nombreux facteurs, notamment socioéconomiques, qui n’ont pas été pris en compte.
4. Quel pourrait être le niveau d’exposition de la population aux champs magnétiques ELF émis par les postes souterrains?
L’intensité d’un champ magnétique dépend de la tension et du courant électriques, du type de transformateur et du type de poste électrique. Elle varie aussi selon la distance de la source : l’intensité du champ diminue à mesure que l’on s’éloigne de sa source. Pour estimer l’exposition moyenne extérieure aux champs magnétiques ELF, des mesures ponctuelles ont été prises dans des endroits publics de différentes villes européennes. L’intensité mesurée variait entre 0,05 et 0,2 µT21, et était plus élevée directement sous les lignes à haute tension. Sur le bord des clôtures entourant les postes au-dessus du sol, les valeurs maximales pouvaient atteindre 20 à 80 µT21. L’intensité moyenne mesurée au périmètre d’un poste en surface de 275 à 400 kV était de 10 µT22. En comparaison, les mesures d’intensité du champ magnétique produit par des postes souterrains au Royaume-Uni étaient en moyenne de 1,1 µT aux limites du terrain, et de 0,2 µT 1,5 m plus loin21. Le plus souvent, ce sont les lignes et les fils alimentant le poste qui génèrent le champ magnétique le plus intense, et non le poste même16.
L’intensité du champ magnétique mesurée à plusieurs reprises à 1,5 m du sol, au-dessus de deux postes électriques souterrains belges (abaissant la tension de 11 000 V à 220 V et à 400 V), était en moyenne de 0,2 µT et de 0,35 µT (étendue : 0,037-0,5 µT), soit inférieure à celle mesurée près de deux postes isolés (moyennes de 0,51 µT et de 2,6 µT). Pour les postes souterrains, les valeurs maximales ont été mesurées au niveau du sol23. De plus, les mesures d’intensité du champ magnétique au poste souterrain de Vancouver étaient très variables (0,2-10 µT)24.
Aucune étude n’a évalué l’exposition individuelle aux champs magnétiques des enfants qui habitent, vont à l’école ou jouent près d’un poste électrique. Des chercheurs de Taïwan ont mesuré l’exposition aux champs magnétiques ELF d’enfants fréquentant des écoles à proximité de lignes de transport à haute tension25. Pour certaines classes et certains terrains de jeu situés à 30 m ou moins de ces lignes, 27 % des enfants avaient, pour le temps passé à l’école, une exposition individuelle moyenne supérieure à 0,4 µT25.
5. Y a-t-il des lois sur l’exposition du public aux champs magnétiques ELF?
Les lignes directrices et les règlements sur l’exposition du public aux champs magnétiques de fréquence réseau varient grandement. Le Canada et les États-Unis ne sont d’ailleurs pas dotés d’outils nationaux du genre. Selon Santé Canada, « il n’y a aucune preuve concluante montrant que l’exposition aux niveaux trouvés dans les maisons et les écoles du Canada, y compris en bordure des corridors des lignes électriques, a un effet nocif » et « il n’est pas nécessaire de chercher à [se] protéger de l’exposition quotidienne aux [champs électromagnétiques (CEM)] de fréquence extrêmement basse » (2016)7.
En 2008, le Comité de radioprotection fédéral-provincial-territorial (CRFPT) a publié une déclaration dans laquelle il disait notamment ce qui suit : « En l’absence de preuve scientifique convaincante sur de tels effets, le Canada n’a pas de lignes directrices nationales limitant l’exposition de la population aux CEM de fréquence réseau26. »
La majorité des pays qui disposent de renseignements sur le sujet ont tendance à respecter les lignes directrices de l’International Commission on Non-Ionizing Radiation Protection (ICNIRP), énoncées en 1998, qui recommandent de limiter l’exposition aux champs électromagnétiques variant dans le temps à 100 µT27. En 2010, la limite indiquée dans ces lignes directrices a été portée à 200 µT8. En ce qui a trait à l’exposition des enfants aux CEM, bon nombre de pays ont fixé des limites qui leur sont propres, comme la Croatie, la Finlande et la France, où la limite est de 0,4 µT, et la Suède, où la limite est de 0,2 µT, ce qui constitue l’une des limites les plus basses (tableau 1). On ignore cependant si les lignes directrices sont vraiment respectées.
Tableau 1 : Lignes directrices de divers pays sur l’exposition aux champs magnétiques de fréquence extrêmement basse
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International |
National |
R.‑U. et É.‑U. |
Europe |
Autre |
Absence de lignes directrices et de |
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Canada (toutes les provinces)7
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Aucune ligne directrice nationale aux É.-U.; certains États ont fixé des limites28 |
Lituanie29 Belgique (au cas par cas, par précaution)29 Danemark* (0,4 µT)29 |
Bosnie-Herzégovine29
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> 200 µT |
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Lettonie (500 µT)29 |
Colombie (500 µT)29 |
200 µT |
ICNIRP (2010)44 |
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Japon29 |
Volontaire ou selon les |
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Nouvelle-Zélande29 Singapour29 Corée du Sud29 |
100 µT |
ICNIRP (1998)27 UE30 OMS31 |
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R.‑U.32 |
Plupart des pays de l’UE; 100 µT, et plus pour de courtes périodes Finlande* (500 µT, 0,4 µTǂ)29 Hongrie (1 000 µT)29; 100 µT et moins Croatie* (0,4 µT)29 France* (0,4 µT)29 Italie* (10 µT, 3 µTǂ)29 Pays-Bas* (0,4 µT)33 Slovénie* (10 µT)29 Suisse (1 µT)34 Allemagne (100 µT)35 |
Chine29 100 µT, et plus pour de courtes périodes; Australie 100 µT, et jusqu’à 1 000 µT pour de courtes périodes29 |
Application du principe de |
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Ville de Toronto* (diminution de l’exposition aux CEM si moins de 12 ans)36 |
Californie37 Connecticut*38 Hawaï39 |
Norvège* (ALARA, 0,4 µTǂ)29 Suède* (0,2 µT)40 |
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UE : Union européenne; OMS : Organisation mondiale de la Santé; ALARA : le plus bas que l’on peut raisonnablement atteindre
* Dispositions spéciales pour les enfants
ǂ Si deux valeurs sont données pour un même pays, la deuxième exprime la limite pour les enfants, les services de garde et les écoles.
6. Le principe de précaution devrait-il être appliqué?
Dans son ouvrage sur la santé environnementale et les critères liés aux champs ELF, intitulé Environmental Health Criteria Monograph on ELF fields41, l’OMS a conclu, étant donné l’incertitude entourant l’existence d’effets chroniques ainsi que la faible quantité de données probantes associant l’exposition aux champs magnétiques ELF et la leucémie infantile, que l’évitement prudent était de mise pour réduire l’exposition, à condition que cela ne nuise pas aux bienfaits associés à l’électricité sur la santé, la société et l’économie41. Les mesures de précautions pouvant réduire l’exposition aux champs magnétiques ELF recommandées, provenant des postes électriques par exemple, comprennent la création de configurations électriques efficaces durant la conception des postes, l’éloignement des postes et des câbles des endroits publics et l’étude de l’utilisation de matériaux de protection spécialisés dans les câbles électriques et les transformateurs.
Dans sa réponse de 2008, le CRFPT précisait que « les mesures de précaution appliquées aux lignes de transport devraient favoriser les options comportant de faibles coûts ou l’absence de coûts »26. En 2008, le conseil municipal de Toronto adoptait une politique d’évitement visant à réduire le plus possible l’exposition aux champs électromagnétiques, surtout pour les jeunes enfants près des couloirs de lignes électriques. Toute garderie planifiée ou modifiée récemment et étant établie près d’un couloir de lignes électriques, qu’elle soit récréative, résidentielle, scolaire, de jour ou située dans un parc, doit mettre en place des mesures peu ou non coûteuses afin de réduire le plus possible l’exposition aux champs électromagnétiques. Par ailleurs, toute proposition d’établissement de nouvelles lignes de transmission de haute tension dans la ville ou de modernisation des lignes existantes nécessite une évaluation des effets sur la santé visant à limiter le plus possible l’augmentation de l’exposition annuelle moyenne42.
Il n’existe au Canada aucune limite provinciale ou nationale sur l’exposition du public aux champs magnétiques de fréquence réseau. Santé Canada considère que les données probantes sur les dommages liés à l’exposition aux champs électromagnétiques ELF sont non concluantes.
Certains pays ont fixé la limite d’exposition à 0,4 µT ou moins pour les enfants en se basant sur des études montrant une association entre la leucémie infantile et l’exposition aux champs magnétiques de fréquence réseau supérieure à cette valeur. Ces données demeurent toutefois controversées en raison de possibles biais dans les études épidémiologiques menées jusqu’à maintenant.
Le service public d’électricité ayant proposé la construction d’un poste électrique souterrain près d’une école et d’un terrain de jeu a retiré son projet.
Helen Ward1, Aroha Miller1,2, Lydia Ma1 et Tom Kosatsky1,2
1 Centre de collaboration nationale en santé environnementale, Vancouver (Colombie-Britannique)
2 Centre de contrôle des maladies de la Colombie-Britannique, Vancouver (Colombie-Britannique)
Les auteurs désirent remercier Michele Wiens, du Centre de collaboration nationale en santé environnementale, pour avoir effectué la recherche documentaire et préparé les références.