Les poupées sexuelles : Misons sur l’information pour assurer l’hygiène dans les locations à domicile

Les médias sociaux, le commerce en ligne et les services à domicile ont donné lieu à toutes sortes de nouveaux services offerts dans des contextes commerciaux non traditionnels. Récemment, il a été question dans les médias d’une entreprise qui loue des poupées sexuelles réalistes à utiliser chez soi; il y a actuellement plusieurs entreprises du genre au Canada. Les poupées sont constituées d’un support métallique articulé recouvert d’un matériau souple (silicone ou élastomère thermoplastique [TPE]) coulé ou moulé. Les poupées ont à peu près la même taille (environ 1,5 m ou 5 pi) et le même poids (30 à 60 kg ou 70 à 130 lb) qu’une vraie personne. Les clients placent leur commande en ligne, on leur livre la poupée chez eux et on vient la récupérer par la suite pour la nettoyer et la désinfecter avant de la louer de nouveau.
Si les exploitants « exigent » habituellement l’utilisation du condom (recommandation générale pour l’utilisation sans danger d’accessoires sexuels, particulièrement s’ils sont utilisés par différentes personnes), on peut raisonnablement présumer que les surfaces intérieures et extérieures de la poupée sont entrées en contact avec des fluides corporels. Et comme les prochains utilisateurs entreront probablement aussi en contact avec ces surfaces par l’entremise de muqueuses, il y a lieu de considérer le risque de transmission de maladies comme un enjeu de santé publique. Autre préoccupation secondaire : l’ingestion ou l’absorption par la peau de la poudre pour bébés à base de talc ou de fécule de maïs qui est utilisée pour lisser la peau de la poupée après le nettoyage.
La location de poupées sexuelles n’est qu’un seul exemple du nombre grandissant de services atypiques dont les activités, aussi inquiétantes soient-elles, sont en marge du ressort des autorités de santé publique. Les exemples sont variés : piscines d’accouchement gonflables, houkas et services d’abonnement à des jouets pour enfants (pour ne nommer que ceux-là). Bien qu’ils soient moins excitants que les poupées sexuelles, tous ces produits de location pourraient entrer en contact avec des fluides corporels, et doivent être désinfectés avant d’être réutilisés. Or, comme le consommateur se sert du produit chez lui, l’entreprise n’est normalement pas sous l’autorité des inspecteurs de la santé publique – à moins qu’il y ait une plainte; dans ce cas-là, les autorités de santé publique peuvent prendre des mesures pour éliminer un risque sanitaire en particulier.
Les autorités de santé publique devraient-elles réglementer la location des poupées sexuelles?
Les services de location de produits comme les poupées sexuelles ne s’inscrivent dans aucun portefeuille de santé publique précis. Certaines provinces ont élargi le champ d’application de leurs lois sur les services personnels afin qu’elles couvrent les activités menées en dehors des lieux traditionnels (p. ex., boutiques mobiles et salons professionnels). Toutefois, certaines activités, notamment la location de poupées, ne cadrent pas tout à fait non plus avec la définition d’un service personnel. Par exemple, dans les Guidelines for Personal Service Establishments de la Colombie-Britannique, on définit un service personnel comme un service réalisé par une personne (c.-à-.d. un être humain) sur ou pour une autre personne. L’interaction avec une poupée pour adultes n’entre pas dans cette définition. Et même si l’on considère la poupée sexuelle comme un outil ou un instrument, la définition d’un service personnel dépend de la nature de l’activité (p. ex., tatouage ou massage), du lieu (p. ex., salon de beauté ou de coiffure) et de l’intention (p. ex, la Personal Services Act de Terre-Neuve-et-Labrador précise que les services doivent être offerts pour des motifs esthétiques ou culturels). Encore une fois, cela ne couvre pas les interactions avec les poupées sexuelles ni les entreprises qui les louent pour l’utilisation à domicile. Ailleurs au Canada, il n’existe pas de définition officielle de ce qui constitue un service personnel. Alors, quel pouvoir les autorités de santé publique ont-elles sur les entreprises proposant des services, notamment la location de poupées, qui présentent des risques de transmission de maladies que nous ne connaissons pas encore?
Les exploitants et le public arriveront-ils à trouver une solution sans aide?
À l’heure actuelle, il n’existe aucune ligne directrice de santé publique fondée sur des données probantes pour la désinfection des accessoires sexuels. Cela est désolant, puisque des études ont montré que le partage d’accessoires sexuels pourrait permettre la transmission d’infections entre les partenaires, autant chez les hommes que chez les femmes, et que les agents infectieux pourraient demeurer plus longtemps sur les accessoires sexuels en TPE que sur ceux en silicone.
Mais même s’il n’existe pas de guide pour les accessoires sexuels, le Web abonde en ressources sur le nettoyage et la désinfection des surfaces environnementales ayant été en contact avec des fluides corporels. Bon nombre de ces ressources sont d’ailleurs dérivées de documents sur les services personnels. À titre d’exemple, mentionnons les documents récemment publiés par le ministère de la Santé de la Colombie-Britannique et par Santé publique Ontario, qui non seulement présentent de l’information détaillée sur le nettoyage des fluides corporels, mais décrivent aussi les types de désinfectants et les utilisations appropriées. Ces ressources sont des mines de renseignements sur la prévention et le contrôle des infections; il serait fort utile que les propriétaires d’entreprises les lisent au complet afin que leurs services soient aussi sécuritaires que possible.
Cela dit, les exploitants et le public risquent d’avoir de la difficulté à trouver des ressources fiables ou encore à les interpréter. Et selon la province et la quantité de fluides corporels, on recommandera tantôt une désinfection partielle, tantôt une désinfection complète, ce qui ne fait qu’ajouter à la confusion. Pour toutes ces raisons, il est très peu probable que les exploitants ou le public en viennent à bien comprendre par eux-mêmes les pratiques d’hygiène nécessaires pour la location de produits risqués.
Miser sur l’éducation pour aider les exploitants et le public à comprendre les besoins de désinfection
Les inspecteurs de la santé publique jouent un rôle crucial dans l’éducation des exploitants et du public. Les poupées sexuelles en sont un bon exemple, car la conception complexe du produit peut représenter de réels défis pour le retraitement. Les poupées ont deux ou trois orifices (qui comprennent parfois des pièces amovibles); elles ont aussi des coutures, des cheveux, des cils et des accessoires phalliques. N’oublions pas les matériaux : si les poupées en silicone sont habituellement non poreuses et résistantes à la chaleur, certains types de TPE sont poreux ou hygroscopiques, ou encore sensibles à la chaleur, ce qui complique la désinfection.
Il y a aussi des considérations pratiques. Pour les exploitants, il est important que le retraitement n’abîme pas inutilement la surface de la poupée et que la durée du processus soit raisonnable. Pour les clients, il est important que la poupée soit complètement désinfectée (mais qu’elle ne dégage pas l’odeur caractéristique de l’assainissant) et que le produit assainissant ait été bien rincé afin que la poupée ne cause pas d’irritation ou d’allergie. Ces critères mettent en lumière toute l’importance de l’expertise des inspecteurs de la santé publique dans l’élaboration d’un protocole de désinfection qui assainira correctement le produit sans l’endommager et sans laisser (ou créer) de dangers pour le prochain utilisateur.
Communiquer avec le public au sujet de ces services atypiques
En plus de formuler des recommandations pour les exploitants en ce qui a trait à la désinfection, les inspecteurs de la santé publique et les autorités de santé ont un rôle essentiel à jouer : communiquer activement avec le public au sujet des services non traditionnels. Dans le cas des poupées sexuelles, les risques d’hygiène sont si évidents que certaines personnes pourraient être portées à croire que les autorités de santé surveillent ou encadrent déjà les activités de ces entreprises. C’est pourquoi il faut améliorer la communication sur le rôle des autorités de santé et sur le fait que le consommateur doit se montrer vigilant et se renseigner sur les pratiques d’hygiène.
Résumé
Étant donné la vaste gamme de nouveaux produits et services offerts par l’intermédiaire des réseaux sociaux et du marché en ligne, il peut être difficile pour les exploitants et pour le public de trouver l’information nécessaire pour éviter les dangers. Les autorités de santé publique doivent aussi être présentes en ligne, et trouver des façons créatives et intéressantes de renseigner le public sur les risques associés à certaines activités. Les consommateurs doivent aussi prendre conscience que les entreprises qui offrent les services ou livrent les produits à domicile n’ont peut-être jamais eu la chance de consulter un inspecteur de la santé publique. En matière d’hygiène et de poupées sexuelles, le consommateur doit être vigilant.