Substitutions Regrettables: Les Produits Ignifuges Chimiques
Dans les années 1970, les règlements en matière d’incendie ont commencé à exiger l’ajout de produits ignifuges chimiques (PIC) à divers biens de consommation. Aujourd’hui, ces composés se retrouvent dans plusieurs produits tels que téléphones cellulaires, télévisions, ordinateurs, vêtements, meubles rembourrés et tapis. Bien que les PIC permettent de respecter certaines normes par leur capacité à ralentir l’allumage et la propagation du feu, ils libèrent également des produits chimiques dans l’air intérieur et les poussières qui ont même été détectés dans la nourriture et l’eau. Dans bien des cas, l’exposition aux PIC est associée à des effets néfastes sur les systèmes reproducteur, nerveux et endocrinien et à des cancers de multiples organes. Autre danger des PIC : s’ils brûlent, ils peuvent produire des gaz toxiques comme le furane et la dioxine. Outre le fait qu’ils n’éliminent pas complètement la probabilité d’un incendie, l’inhalation de leurs vapeurs toxiques peut causer des blessures et des cancers, voire la mort.
La chaîne de substitutions regrettables
La quête continuelle de PIC plus sûrs s’est avérée vaine. Deux des premiers PIC, les biphényles polychlorés (BPC) et les biphényles polybromés (BPB), ont été classés comme des écotoxines et des carcinogènes dans les années 1970 et 1980, et alors remplacés par des éthers diphényliques polybromés (EDP). Dans les années 1990, ceux-ci ont été reconnus comme des perturbateurs endocriniens (PE); ils ont alors été retirés du marché et remplacés par des esters d’organophosphate (EOP). Depuis le début des années 2000, beaucoup de produits ignifuges à base d’EOP ont aussi été classés comme des PE. Voilà des exemples de substitutions regrettables, soit le remplacement d’un composé toxique par un autre dont la toxicité se révèle au fil du temps. En ce qui concerne les PIC dans les biens de consommation, le phénomène s’explique par les règlements sur la sécurité-incendie.
Les normes de sécurité-incendie et leur rôle quant aux substitutions regrettables
Les normes de sécurité-incendie exigent que les biens de consommation réussissent l’un des deux essais qui mesurent le délai d’inflammation d’un produit. Le premier est l’essai d’inflammabilité, qui expose les composants du produit (p. ex., mousse de rembourrage) à une flamme nue. Comme le produit peut seulement réussir cet essai s’il contient des PIC, on attribue leur prévalence dans les biens de consommation à l’application généralisée de cet essai pendant plus de 50 ans. Le deuxième et plus récent essai de résistance à la combustion lente expose les produits à une combustion lente comme celle d’une cigarette. Le produit peut réussir celui-ci s’il résiste au feu grâce à des méthodes de construction (p. ex., intégration de barrières) et de matériaux qui sont intrinsèquement moins inflammables. L’ajout de PIC est alors souvent inutile.
Tendances de réglementation des produits ignifuges chimiques
Bien que les règlements de sécurité-incendie varient d’une région à l’autre, les données probantes indiquent un virage vers l’essai de résistance à la combustion lente, ce qui a permis d’augmenter la restriction des PIC. La Californie, par exemple, a adopté une loi exigeant ce type d’essai pour l’ameublement de maison, ce qui a rendu possible l’interdiction, par la municipalité de San Francisco, de la vente de nouveaux meubles, de certains tissus et d’accessoires électroniques contenant des PIC dont la concentration dépasse 1 000 parties par million. Cette loi a également été proposée comme modèle national aux États-Unis. L’Union européenne a quant à elle interdit l’ajout de PIC aux écrans de télévision et d’ordinateur. Au Canada, par contre, l’usage de PIC est toujours autorisé, mais la réglementation pour certains produits tels que futons, matelas et tentes indique déjà qu’il serait possible de respecter les exigences en matière de sécurité-incendie sans ajout de PIC.
De tels changements de réglementation ne font pas l’unanimité. D’un côté, les pompiers professionnels ont été parmi les plus grands défenseurs de l’essai de résistance à la combustion lente et des options non chimiques de sécurité-incendie. Pour les pompiers, l’exposition professionnelle aux toxines produites par les PIC en combustion est associée à un risque élevé de cancer. En réponse à la nouvelle loi californienne, l’Association internationale des pompiers (AIP), le groupe professionnel représentant les pompiers d’Amérique du Nord, a fait la déclaration suivante :
« Les pompiers des États-Unis et du Canada seront mieux protégés contre les produits ignifuges toxiques… »
D’un autre côté, la Consumer Product Safety Commission des États-Unis garde une certaine réserve envers la loi californienne, recommandant d’approfondir les recherches tout en préconisant les restrictions d’utilisation de certains EOP. Les groupes de défense de la santé des consommateurs et de l’environnement appuient l’élimination des PIC au motif qu’il existe des moyens plus sûrs pour prévenir les incendies.
Éviter les substitutions regrettables des produits ignifuges chimiques
Comme les solutions de rechange plus sûres à certains PIC se font rares, la meilleure façon d’éviter les substitutions regrettables serait de recourir aux méthodes non chimiques pour améliorer la résistance au feu des biens de consommation. La demande des consommateurs pourrait aussi encourager l’usage réduit des PIC. Le marché des produits sans PIC est en pleine croissance, d’autant plus que certains fabricants et détaillants font la promotion de ces produits. Au début de 2020, l’Upholstered Furniture Action Council a lancé un programme volontaire de certification du mobilier exempt de certains PIC. Plusieurs groupes de consommateurs réclament l’étiquetage obligatoire de la composition chimique. Puisque le Canada ne s’est doté d’aucune exigence en la matière, il est difficile d’établir de manière faible si un produit contient des PIC.
Le rôle de la santé publique
La santé publique collabore depuis longtemps avec les organismes de protection contre les incendies pour sensibiliser le public à la sécurité-incendie. En mettant à profit ces liens, on pourrait aider le public à mieux comprendre les approches chimiques et non chimiques de prévention des incendies. Certaines associations de santé publique d’Amérique du Nord ont aussi participé à la revendication de la sécurité chimique des produits utilisés en protection contre les incendies. L’American Public Health Association a demandé la prévention de l’exposition humaine aux EDP et le retrait des PIC de la mousse isolante. En 2010, c’était au tour de l’Association canadienne de santé publique de demander l’interdiction des activités commerciales liées à l’amiante. De telles prises de position s’allient tout naturellement aux initiatives d’appui aux industries et aux consommateurs qui cherchent à améliorer les effets des produits sur la santé et l’environnement sur tout leur cycle de vie. Le Canada et les États-Unis ont lancé des programmes d’écoconception favorisant la collaboration entre les industries, les consommateurs et les gouvernements pour atteindre ces objectifs. La participation des acteurs de la santé publique et de la protection contre les incendies à ce genre d’initiative pourrait être un bon mécanisme pour prévenir les substitutions regrettables, par la promotion de biens de consommation antifeu sans PIC.
Biographies des auteures
Barbara Hales est professeure James McGill au Département de pharmacologie et de thérapeutique de l’Université McGill. Elle a été présidente de la Société de toxicologie du Canada et de la Teratology Society, et coprésidente du Comité scientifique sur le Plan de gestion des produits chimiques du gouvernement du Canada. Elle est actuellement secrétaire générale de l’International Union of Toxicology (IUTOX). À ce jour, elle a publié plus de 160 articles et 45 chapitres de livres.
Shirra Freeman est une scientifique en santé environnementale au CCNSE.