Le droit à un environnement sain: La législation canadienne et l’importance de la recherche en matière d'environnement et de santé
Le droit à un environnement sain est reconnu par la loi dans plus de 80 % des États membres des Nations Unies. En juin 2023, des modifications à la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (LCPE) concernant le droit à un environnement sain ont été adoptés avec le projet de loi S-5 qui a reçu la sanction royale au Parlement (LCPE2023). En s'appuyant sur les leçons tirées de l'initiative phare Environnements et santé (IPES) des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), un programme de recherche de 35 millions de dollars sur plus de cinq ans, nous nous penchons sur la façon dont de nouveaux investissements dans la recherche constituent un élément essentiel pour la réalisation des ambitions de la LCPE2023.
En avril 2023, le Consortium canadien de recherche en santé environnementale urbaine (CANUE), avec le soutien du Centre de collaboration nationale en santé environnementale (CCNSE) et de Santé Canada (SC), a organisé un sommet national sur l'environnement et la santé, qui représente l'événement phare de l'IPES en matière d'application des connaissances et qui met un terme à cette initiative des IRSC. Cet important rendez-vous a débouché sur un rapport du sommet qui est maintenant disponible (en anglais). Les 18 projets de l'IPES ont généré un grand nombre de nouvelles connaissances sur une diversité impressionnante de sujets, en s'appuyant sur de multiples disciplines et en établissant de solides partenariats intersectoriels. Ces thèmes sont présentés dans le rapport. Il est également possible de visionner en ligne les webinaires qui ont précédé le sommet, ainsi que les vidéos de nombreuses sessions du sommet.
Le sommet a été l'occasion de discuter de différentes perspectives globales que la recherche et la mobilisation des connaissances devront intégrer à l'avenir. Les principaux domaines abordés comprennent:
- Une seule santé
- La santé planétaire
- L'exposome
- Les façons autochtones de savoir
Il est nécessaire de progresser dans tous ces domaines pour freiner et inverser les dommages causés à la santé et à la biodiversité par une dégradation des conditions environnementales, pour renforcer les approches préventives en vue d'améliorer et de protéger la santé des Canadiens et pour promouvoir un monde durable. Le Canada dispose d'une masse critique d'expertise et de systèmes publics pour devenir un leader dans cet effort ; le succès de l'IPES en est la preuve.
Cinq recommandations principales du sommet doivent être soulignées :
- Organiser de futurs sommets consacrés à l'environnement et à la santé afin d'établir des liens entre les domaines Une seule santé, la santé planétaire et les sciences de l'exposition, tout en intégrant de manière significative les connaissances des populations autochtones.
- Lancer des efforts pour étendre ce qui a été appris dans le cadre de l'IPES en termes de nouvelles méthodologies et de processus d'engagement communautaire.
- Améliorer la coordination pour documenter et diriger la recherche interdisciplinaire sur les environnements et la santé dans tous les secteurs.
- Développer des mécanismes de financement flexibles.
- Mettre davantage l'accent sur la santé des enfants au Canada.
Ces recommandations sont vastes et peuvent paraître tout à fait logiques. Elles sont détaillées dans le rapport du sommet, mais nécessitent une attention particulière pour les transformer en actions conduisant à la recherche et la mobilisation des connaissances et à la mise en œuvre de nouvelles politiques scientifiques et environnementales au Canada, voire au-delà. La communauté scientifique canadienne en matière d'environnement et de santé est déterminée et prête à apporter sa contribution, mais la fin de l'IPES et les lacunes évoquées durant le sommet sont bien réelles et entravent sérieusement toute avancée dans ce domaine.
Le contexte est propice à la mise en place d'une véritable stratégie de recherche sur l'environnement et la santé au Canada, dotée d'un financement adéquat. Dès sa création, l'IPES était un programme ponctuel. Malgré la nécessité largement reconnue d'un financement stable, rendue encore plus évidente par l'ambition de la LCPE2023, l'élan amorcé par cette initiative n'est pas maintenu. Cette situation survient à un moment où un programme coordonné, complet et adéquatement financé à long terme sur l'environnement, la santé et le bien-être de la société est nécessaire afin d’accélérer la recherche et la mobilisation des connaissances au Canada.
Parallèlement à la mise en œuvre de la LCPE2023 et du sommet, d'autres organisations soulignent l'urgence d'agir. L'Association des facultés de médecine du Canada a publié sa Déclaration sur la santé planétaire, dans laquelle elle déclare que la santé de la planète est une "urgence de code rouge, et appelle à la mise en œuvre immédiate de programmes d'éducation et de recherche en matière de santé planétaire, ainsi qu'à la transition vers des systèmes de santé résilients au changement climatique et à faible émission de carbone, afin de construire un avenir sain, durable et juste pour tous". En octobre 2023, plus de 200 revues spécialisées dans le domaine de la santé ont appelé les Nations unies, les dirigeants politiques et les professionnels de la santé à reconnaître que le changement climatique et la perte de biodiversité constituent une crise indissociable et doivent être abordés conjointement afin de préserver la santé et d'éviter une catastrophe, en déclarant que "cette crise environnementale globale est désormais si grave qu'elle constitue une urgence sanitaire mondiale".
La saison des incendies de forêt de 2023, qui a touché l'ensemble du Canada, est un rappel convaincant de la gravité des enjeux. Des questions difficiles qui nécessitent des réponses immédiates se posent. Que signifient le «droit à un environnement sain », l' « équité intergénérationnelle », la « justice environnementale » et le « maintien des niveaux de protection actuels du Canada » (« non-régression »), principes désormais officiellement reconnus dans la LCPE 2023, alors que les risques pour la santé liés à l'exposition à la fumée d’incendies et le traumatisme des évacuations massives ne font qu'augmenter à l'intérieur de nos propres frontières, ou que les plastiques et les produits chimiques sont omniprésents dans nos vies, nos environnements et nos corps ? Comment interpréter équitablement les déclarations de la LCPE2023 selon lesquelles les éléments susmentionnés sont « soumis à des limites raisonnables » ? Votre avis sur ces questions et sur d'autres questions qu'Environnement et changement climatique Canada et SC proposent dans leur Document de discussion doit être entendu.
Les travaux menés dans le cadre de l'IPES sont pertinents pour relever ces défis, mais il reste encore beaucoup à faire. La reconnaissance par les IRSC de la complexité de ces questions, la structure de l'IPES autour de thèmes de recherche transversaux et l'accent mis sur l'établissement de partenariats intersectoriels constituent des atouts importants qui ont évolué au cours de plusieurs années de planification et de consultation. Cette approche novatrice peut nous servir de leçon et d'inspiration. Il est clair que les IRSC ne peuvent être les seuls à faire avancer les futures initiatives canadiennes dans ce domaine. Ceci doit être un engagement de l'ensemble de la société et à défaut d'investissements substantiels dans la science et l'adoption des nouvelles connaissances d'aujourd'hui et de demain, la vision de la LCPE2023 ne pourra se concrétiser.
Les environnements dans lesquels nous vivons ont un effet profond sur notre bien-être général et, plus largement, sur notre identité. Les mécanismes par lesquels cela se produit sont complexes, ils opèrent à toutes les échelles, à l'intérieur et à l'extérieur de notre corps, et sont bidirectionnels : l'environnement nous façonne continuellement, et nous façonnons continuellement l'environnement. Les impacts sont ressentis individuellement et s'accumulent au sein des populations, de sorte que le bien-être requiert des connaissances et des actions tenant compte des deux perspectives.
Bien que subtile, l'utilisation de l'expression "environnement et santé", employée par les IRSC pour l'IPES par opposition à "santé environnementale" est importante. En effet, l'expression "environnements et santé" nous aide peut-être à nous orienter moins vers un raisonnement anthropocentrique et davantage vers une compréhension du fait qu'avant tout, les environnements (et les écosystèmes) doivent être sains pour permettre aux êtres humains et à l'humanité d'atteindre un bien-être à long terme. Ainsi, les êtres humains ne sont qu'une partie d’un tout.
Les travaux de recherche entrepris dans le cadre de l'IPES couvrent remarquablement l'ensemble des thématiques liées à l'environnement et à la santé. Chacun à leur manière, les projets ont intégré la complexité inhérente aux systèmes qu'ils étudiaient, faisant ainsi progresser les connaissances de manière significative.
Au-delà des cinq recommandations ci-dessus, nous savons ce qu'il nous reste à faire et il n'y a plus de temps à perdre. Bien que l'IPES ait réalisé des progrès significatifs concernant certains enjeux cruciaux, il reste encore beaucoup à faire pour consolider ces progrès :
- Mettre en œuvre et évaluer les stratégies de « villes en santé » existantes ou nouvellement découvertes dans un environnement social complexe.
- Étendre la mission de la médecine personnalisée à la santé environnementale personnalisée.
- Informer le gouvernement et le public sur l'évolution de la science afin de contribuer à la création et au maintien de conditions environnementales optimales.
- Intégrer les connaissances autochtones et occidentales pour minimiser les impacts et se préparer aux conséquences des changements environnementaux/sociétaux, tels que la pénurie d'eau, les incendies de forêt, les conditions météorologiques extrêmes et les transitions énergétiques et économiques.
Les perspectives scientifiques issues de la recherche sur l'environnement et la santé, passée et présente, sont un élément essentiel du processus d'élaboration du plan de mise en œuvre de la LCPE2023 et permettent de jeter les bases de la recherche et de la mobilisation des connaissances, ainsi que d’informer des décisions politiques efficaces. Le public a jusqu'au 8 avril 2024 pour faire part de ses commentaires sur le projet initial de la LCPE 2023. Toutes les parties prenantes devraient partager leurs points de vue afin de s'assurer que le plan est clair, ambitieux et réalisable, et qu'il contribue ainsi à créer des changements à court et à long terme.
Au sujet de l'auteur
Jeff Brook est directeur scientifique de CANUE et professeur associé à la Dalla Lana School of Public Health de l'Université de Toronto. Il a présidé le Sommet de la recherche sur l'environnement et la santé qui s'est tenu l'année dernière. Jeff était auparavant chercheur principal à la Division de recherche sur la qualité de l'air d'Environnement et changement climatique Canada. L'objectif principal de CANUE est de faire progresser la compréhension scientifique des interactions entre les caractéristiques physiques de l'environnement urbain, individuellement et en combinaison, de leurs effets sur la santé et de la manière dont elles peuvent être modifiées afin d'améliorer la santé. CANUE met également à la disposition de tous les Canadiens des données et des cartes sur l'équité environnementale par l'intermédiaire de HealthyPlan.City.