La santé publique et les bibliothèques publiques s’associent pour améliorer la qualité de l’air intérieur

La ventilation est devenue un enjeu important pour prévenir la transmission durant la pandémie de COVID-19. Au Canada, pour faire face au froid hivernal et à la chaleur estivale, les codes du bâtiment donnent la priorité à l’étanchéité et à l’efficacité énergétique plutôt qu’à la ventilation. Pour économiser sur les coûts de chauffage et de climatisation, de nombreux lieux publics et privés peuvent par conséquent être mal aérés. La qualité de l’air intérieur (QAI) est devenue un grand problème de santé publique, non seulement à cause des maladies respiratoires comme la COVID-19, mais aussi parce qu’un environnement intérieur mal ventilé expose les occupants à un ensemble d’autres contaminants dangereux, notamment les composés organiques volatils, les matières particulaires et le radon.
Étant donné le grand nombre d’espaces potentiellement mal ventilés, les propriétaires, locataires, locateurs et gestionnaires d’immeubles ont besoin d’un outil simplifié pour cibler les zones mal aérées. Les capteurs de CO2 abordables peuvent s’avérer utiles; ces dispositifs indiquent les taux de dioxyde de carbone (CO2) à l’intérieur, lesquels augmentent constamment si la ventilation est inadéquate pour le nombre d’occupants ou leurs activités.
Même si l’opération semble simple, l’utilisation de capteurs de CO2 pose des problèmes. Le coût, la qualité et la précision des capteurs varient considérablement. Bien que des capteurs abordables soient disponibles, un capteur de bonne qualité peut coûter plusieurs centaines de dollars. Le coût d’achat d’un capteur de bonne qualité peut constituer un obstacle ou un facteur de dissuasion s’il n’est nécessaire que pour une courte période (par exemple, pour détecter les espaces à problèmes dans un bâtiment). En outre, l’installation des capteurs et l’interprétation des taux de CO2 ne sont pas faciles. Le placement correct des capteurs, la fixation de limites adéquates et la compréhension des différents risques liés à la qualité de l’air intérieur nécessitent des conseils en matière de santé publique.
Ce billet de blogue présente une collaboration récente entre la bibliothèque publique de Peterborough, le service de santé publique de Peterborough et divers partenaires : elle vise à offrir des conseils en matière de santé publique et un accès gratuit aux capteurs de CO2, par le biais d’un prêt bibliothécaire. Nous espérons que cette expérience encouragera d’autres municipalités et leur service de santé publique à proposer des projets similaires.
Comment est né ce projet?
Au printemps 2022, le service de santé publique de Peterborough a contacté la bibliothèque pour sonder l’intérêt de créer un programme communautaire de prêt de capteurs de CO2. Ils ont collaboré avec le Centre de collaboration nationale en santé environnementale (CCNSE), l’Université Yale, l’Université du Colorado, la London School of Hygiene and Tropical Medicine, Prescientx et CO2 Check pour élaborer une fiche d’information sous licence Creative Commons intitulée CO2 monitoring for indoor air quality. Ce document vise principalement à expliquer comment le CO2 intérieur est généré, les différents risques qu’il représente pour la santé et les moyens d’améliorer la ventilation. Le groupe a tenu à indiquer ce que les capteurs pouvaient et ne pouvaient pas faire (par exemple, ils peuvent vous aider à comprendre dans quelle mesure votre maison est bien ventilée, mais ce ne sont pas des détecteurs de monoxyde de carbone).
La bibliothèque a lancé l’emprunt de capteurs de CO2 le 1er avril 2022. Elle dispose de 15 trousses, contenant chacune une fiche d’information, un guide d’instruction et un capteur. Des informations supplémentaires sur le dioxyde de carbone sont également disponibles sur la page Web dédiée de la bibliothèque [en anglais seulement].
Les capteurs sont des modules autonomes dotés d’un afficheur à DEL, permettant à l’utilisateur d’observer les changements des niveaux de CO2 en temps réel. Les utilisateurs peuvent également télécharger l’application gratuite, créer un compte et jumeler le capteur à leur téléphone cellulaire ou leur tablette. Cela permet de consulter le capteur à distance ou de télécharger les données recueillies lorsqu’il est associé à un appareil. Aucune donnée relative au CO2 n’est collectée ou conservée par la bibliothèque.
Avancement du projet : données sur les prêts et résultats du sondage
L’objectif central était de sensibiliser les usagers de la bibliothèque aux enjeux de la QAI et de leur donner les moyens d’apporter des changements positifs à leur environnement intérieur. Les 15 capteurs de CO2 de la bibliothèque ont été empruntés par plus de 50 usagers depuis le lancement, ce qui indique une forte demande et un grand intérêt pour cette occasion d’apprentissage.
Pour déterminer si le projet a favorisé des changements positifs, la bibliothèque de Peterborough a recueilli des données par le biais d’un sondage volontaire et anonyme envoyé à tous les emprunteurs. Sur la base d’un échantillon de 20 répondants, nous savons que :
- Les capteurs ont été empruntés pour évaluer la QAI dans divers environnements publics et privés, notamment au travail, à la maison, dans des bureaux à domicile et dans des espaces communautaires.
- Les capteurs ont permis aux utilisateurs d’évaluer les changements de qualité de l’air en fonction de l’utilisation de la pièce (par exemple, en observant les différences des taux de CO2 avec une ou plusieurs personnes dans la pièce). Ils ont permis de sensibiliser les utilisateurs aux avantages d’effectuer de petits changements, comme d’ouvrir une fenêtre.
- Les usagers de la bibliothèque ont aimé pouvoir emprunter un capteur à la bibliothèque. Plusieurs personnes interrogées ont mentionné qu’elles n’auraient pas connu leur existence ou n’auraient pas eu les moyens d’en essayer un autrement. Ces réponses soulignent les avantages d’avoir des bibliothèques qui font le prêt de capteurs. C’est une bonne façon de promouvoir l’équité en santé et de rehausser la confiance dans les institutions publiques.
Quels problèmes ou besoins non comblés ont été rencontrés?
La phase de développement du projet et le sondage auprès des utilisateurs de la bibliothèque ont permis d’identifier plusieurs lacunes potentielles ou besoins non comblés.
Le premier besoin non comblé concerne la sensibilisation ou l’accès à des sources d’information fiables. Bien que de nombreuses ressources sur la qualité de l’air intérieur soient disponibles en ligne, il n’est pas toujours évident de savoir lesquelles constituent une source fiable. La bibliothèque s’efforcera donc de promouvoir les ressources en ligne sur la QAI provenant d’autorités fiables, notamment le site Web très détaillé de Santé Canada : Qualité de l’air et santé. La bibliothèque envisage également d’organiser des ateliers avec des présentateurs invités et des experts locaux en matière de QAI.
Le deuxième problème consiste à déterminer la meilleure façon d’utiliser les données générées. Bien que la bibliothèque ne recueille pas les données sur les taux de CO2 récoltées par les utilisateurs, ces données, dans leur ensemble, ont une valeur pour comprendre les conditions de la QAI dans les maisons du pays. Idéalement, elles pourraient être rendues publiques, permettant ainsi aux décideurs, aux chercheurs et à toute personne intéressée de mieux comprendre les répercussions et l’ampleur d’une mauvaise aération dans les foyers canadiens. Cette approche scientifique citoyenne, où les membres de la collectivité contribuent à recueillir un ensemble de données pouvant servir à la recherche (on les nomme aussi « données participatives »), est devenue extrêmement utile dans d’autres domaines d’étude, notamment la recherche écologique. Pour recueillir des données participatives sur le CO2 à l’intérieur, il faudrait développer une plateforme où les utilisateurs pourraient télécharger, de façon anonyme et en toute sécurité, leurs données. Bien que les données citoyennes soient souvent fragmentaires (couverture inégale, omissions) et que les chercheurs aient peu de contrôle sur la qualité des données, la science citoyenne peut représenter un moyen d’évaluer les problèmes de ventilation dans le parc immobilier canadien.
Enfin, bien que le projet ait réussi à sensibiliser à la QAI, plusieurs répondants au sondage de la bibliothèque ont indiqué qu’ils étaient incapables d’apporter des changements à leur environnement intérieur. Il n’est pas facile de déterminer si cette incapacité est due à la location résidentielle ou au manque de ressources financières, mais elle fait ressortir un problème plus important relevant des codes du bâtiment canadiens, qui mettent l’accent sur l’étanchéité et l’efficacité énergétique plutôt que sur la ventilation et une bonne QAI. Pour protéger tous les Canadiens et Canadiennes, il faudrait mettre le Code national du bâtiment à jour afin de favoriser une bonne QAI.
Et ensuite?
Le projet de prêt de capteurs de CO2 de Peterborough a suscité un grand intérêt au niveau national, auprès d’autres municipalités et bibliothèques, ainsi qu’au niveau international. Le projet a engendré des « épigones » dans d’autres régions en répondant aux demandes de renseignements et en offrant gratuitement la fiche d’information de la santé publique par le biais d’une licence Creative Commons. La bibliothèque publique de Toronto a lancé son propre service de prêt de capteurs de CO2 (avec une fiche d’information adaptée) le 11 juillet 2022.
En plus de soutenir les services de prêt CO2 dans d’autres régions, la bibliothèque envisage maintenant d’offrir d’autres types de capteurs. Par exemple, la perméation du radon d’origine géologique dans les maisons est un problème dans tout le pays. Le radon est cancérigène et cause plus de 3 000 décès par an au Canada. Il présente également de fortes disparités géographiques, de sorte que les niveaux présents dans les maisons dépendent fortement de l’emplacement, de l’âge du bâtiment, de l’étanchéité et d’autres facteurs. L’ajout de capteurs de radon à la bibliothèque de Peterborough, à l’instar d’autres régions, fournira un outil supplémentaire pour améliorer la QAI et la santé publique.
Sommaire
La mauvaise qualité de l’air intérieur est un problème connu, important, et il est lié aux caractéristiques des bâtiments, aux sources de pollution intérieures et extérieures, au climat et aux conditions environnementales, ainsi qu’aux activités des occupants, comme cuisiner, fumer et certains loisirs (p. ex., utilisation de peintures et de solvants). Toutefois, les propriétaires, les locataires et les locateurs peuvent prendre des mesures pour réduire les risques liés à la QAI s’ils disposent des outils nécessaires pour les évaluer. La collaboration entre la bibliothèque publique de Peterborough et le service de santé publique de Peterborough, avec le soutien du CCNSE, de l’Université Yale, de l’Université du Colorado, de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, de Prescientx et de CO2Check, a été très fructueuse, permettant de sensibiliser les usagers de la bibliothèque à la qualité de l’air intérieur. Leur nouvel objectif est d’élargir l’offre de la bibliothèque, et à un palier supérieur, de promouvoir les types de politiques et de programmes qui permettront aux occupants des bâtiments d’apporter ou d’exiger des changements pour améliorer la situation.
Auteurs
Angela Eykelbosh est spécialiste en application des connaissances scientifiques au CCNSE
Citation
J, Eykelbosh. La santé publique et les bibliothèques publiques s’associent pour améliorer la qualité de l’air intérieur [blog]. Vancouver, C.-B.: Centre de collaboration nationale en santé environnementale; 15 septembre 2022. Disponible sur: https://ccnse.ca/content/blog/la-sante-publique-et-les-bibliotheques-publiques-sassocient-pour-ameliorer-la-qualite