Rénovations écoénergétiques et qualité de l’air intérieur : prioriser la santé

Le secteur du bâtiment étant responsable de 18 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) annuelles au Canada, la transformation de notre parc immobilier est maintenant reconnue comme une priorité pour atteindre les cibles mondiales de réduction des GES. Même si la construction de bâtiments plus écoénergétiques contribuera à la réalisation de cet objectif, la rénovation des logements existants serait plus économique et plus efficace. Communément appelées « réaménagements », les rénovations écoénergétiques peuvent être mineures (p. ex., calfeutrer les fissures et les trous ou ajouter des isolants), majeures (p. ex., remplacer les fenêtres et les portes et mettre à niveau le système de chauffage) ou profondes (p. ex., refonte complète des systèmes). Ces changements peuvent mener à une diminution de la consommation d’énergie, et ainsi faire baisser les coûts associés au chauffage et à la climatisation mécaniques des maisons. En théorie, ils pourraient donc permettre de réduire les émissions de GES.
Les efforts en matière d’efficacité énergétique peuvent emprisonner des polluants comme le radon à l’intérieur
Les rénovations écoénergétiques modifient souvent la circulation de l’air dans les maisons, car les bâtiments sont renforcés ou étanchés de façon à réduire les pertes d’énergie. Elles peuvent donc avoir des conséquences directes sur la qualité de l’air intérieur (QAI). Un contaminant en particulier, le radon, semble particulièrement touché par les rénovations écoénergétiques. Il s’agit d’un gaz souterrain qui se dégage lors du processus de dégradation de l’uranium. Ce gaz cancérigène peut entrer dans les bâtiments par les fissures dans les fondations, les parois latérales ou les zones entourant les tuyaux et les drains. Inodore, incolore et invisible, le radon est la deuxième principale cause de cancer du poumon et un enjeu de santé important au Canada, où on en retrouve des taux élevés dans de nombreuses régions
Les données probantes sur l’augmentation des taux de radon causée par les efforts en matière d’efficacité énergétique remontent aux années 1980
Le radon a d’abord été identifié comme une substance dangereuse en suspension dans l’air des logements résidentiels au cours des années 1980 dans le cadre de travaux de recherche financés par le département de l’Énergie des États-Unis. L’agence a examiné des maisons construites selon différentes normes et a constaté grâce à des tests que les maisons écoénergétiques présentaient généralement des concentrations de radon plus élevées que les autres maisons. À l’époque, il avait été reconnu que les efforts visant à empêcher l’air chaud de s’échapper des maisons emprisonnaient également des gaz et d’autres polluants à l’intérieur, ce qui en a fait grimper les concentrations au fil du temps et a accru le risque de cancer pour les occupants.
À la fin des années 1980 et dans les années 1990, des chercheurs au Royaume-Uni et en Europe ont commencé à étudier l’exposition au radon à l’intérieur; ils ont remarqué que les maisons étanches et celles ayant peu de changements d’air étaient plus susceptibles de présenter des taux élevés de radon. Différentes méthodes ont été employées pour étudier ce phénomène, comme la modélisation des mécanismes par lesquels les stratégies de rénovation écoénergétique entraînent une élévation des concentrations de radon et l’utilisation de bases de données pour examiner les taux de radon et les efforts en matière d’efficacité énergétique. Les deux approches sont parvenues à des conclusions semblables : les concentrations de radon augmentent lorsqu’on : i) réduit la ventilation naturelle; ii) calfeutre les fissures; et iii) ajoute des portes, des fenêtres ou des isolants à plus haute efficacité énergétique. Milner et ses collaborateurs ont estimé que les efforts en matière d’efficacité énergétique ont mené à une hausse considérable de 56 % des concentrations de radon et causeraient chaque année au Royaume-Uni 278 décès supplémentaires liés au cancer du poumon.
Des facteurs doivent être pris en compte concernant les réaménagements dans les appartements et les maisons en rangée
Les études sur les rénovations écoénergétiques portent principalement sur les maisons unifamiliales, qui comportent généralement un sous-sol ou une autre surface de contact avec le sol. Toutefois, de nombreuses personnes vivent maintenant dans des logements conçus pour une plus grande densité de population. À l’heure actuelle, seules quelques études sur les immeubles résidentiels à logements multiples (IRLM), les réaménagements et le radon ont été réalisées. Une étude britannique sur la conception de bâtiments a permis de déterminer que les appartements contiennent généralement des concentrations de radon plus faibles que les maisons en rangée ou isolées, puisqu’ils n’ont pas toujours de surface de contact avec le sol, d’où le radon est émis. Des études sur l’efficacité énergétique et la présence du radon dans les IRLM menées en Europe du Nord et en Russie montrent des résultats mitigés : certains réaménagements augmentent les taux de radon à l’intérieur, et d’autres n’ont aucun effet. Ces résultats doivent toutefois être interprétés avec prudence, car les études concernaient des bâtiments dont les matériaux et la conception diffèrent grandement de ceux des bâtiments canadiens. Des recherches supplémentaires seront nécessaires pour mieux comprendre l’incidence des réaménagements sur les concentrations de radon dans les IRLM canadiens.
Les conclusions de travaux de recherche américains sont précieuses pour le secteur du logement canadien
Les études les plus pertinentes sur le lien entre les réaménagements écoénergétiques et les concentrations de radon pour les Canadiens proviennent des États-Unis, où les matériaux, les pratiques et les normes de construction sont semblables à ceux que l’on trouve au pays. L’étude Building Assessment of Radon Reduction Intervention with Energy Retrofits Expansion (étude BEX) de 2020 du département de l’Énergie des États-Unis synthétise des recherches poussées sur les taux de radon avant et après des efforts d’intempérisation (calfeutrage des fissures, remplacement des portes et fenêtres qui fuient). L’étude BEX rassemble des études américaines selon lesquelles des stratégies simples réduisant les coûts d’énergie ont fait augmenter les concentrations de radon de 22 % en moyenne. Ce lien était plus marqué dans les États présentant les concentrations de radon les plus élevées.
Pour surmonter le problème de la hausse du taux de radon après la réalisation de travaux d’intempérisation, des scientifiques américains ont étudié des options pouvant aider à compenser cette augmentation. Il était notamment question de l’installation d’un système de ventilation mécanique, du calfeutrage des couvercles des pompes de puisard et de l’ajout de recouvrements en plastique sur les planchers en terre battue si des personnes y sont présentes lors des réaménagements écoénergétiques. Ces interventions ont réussi à empêcher une hausse des taux de radon au rez-de-chaussée, mais les concentrations dans les sous-sols pouvaient augmenter lorsque des systèmes de ventilation étaient installés aux étages supérieurs. L’étude BEX recommande fortement l’ajout d’options de ventilation sans dépression (systèmes équilibrés ou dotés d’entrées d’air) aux efforts d’intempérisation pour empêcher la hausse des taux de radon. Il peut être justifié d’installer un système de ventilation mécanique dans le sous-sol, en particulier si des personnes y dorment ou s’il s’agit de l’aire habitée la plus basse.
Les auteurs de l’étude BEX ont notamment souligné que les précautions supplémentaires prises lors de réaménagements ne font qu’empêcher les concentrations de radon d’augmenter. Ces techniques ne réduisent pas les taux de radon s’ils étaient déjà élevés avant les rénovations. Les maisons présentant un taux élevé doivent tout de même être dotées de systèmes d’atténuation du radon (dépressurisation sous la dalle) pour que ce dernier soit retiré sécuritairement de l’environnement intérieur.
Attention au taux de radon dans les nouvelles maisons écoénergétiques
De nombreuses nouvelles maisons sont conçues pour être plus écoénergétiques en utilisant moins d’énergie, ce qui peut accroître l’exposition moyenne de ses occupants au radon au fil du temps. C’est l’un des constats d’une étude canadienne, selon laquelle les concentrations de radon dans les nouveaux bâtiments augmentent progressivement. Une étude russe et une étude britannique confirment cette tendance croissante dans leur propre parc immobilier. Une revue des données probantes sur les taux de radon dans les maisons européennes construites après 2010 semble indiquer que les mesures en matière d’efficacité énergétique créent davantage un problème de radon dans les régions ayant les concentrations de gaz souterrains les plus élevées, surtout si la ventilation mécanique ne fait pas partie des systèmes de ventilation des maisons.
Selon une étude sur les maisons construites en fonction de normes plus élevées de rendement énergétique (comme les maisons passives ou certifiées Minergie), ces modèles de maison pourraient être moins susceptibles de faire entrer du radon, en partie grâce à la meilleure étanchéité des fondations et à l’utilisation de thermopompes et de systèmes de ventilation équilibrés. Bien que prometteurs, ces types de maisons à haut rendement ne sont généralement pas construits à grande échelle au Canada.
Les rénovations écoénergétiques ont aussi une incidence sur d’autres concentrations de contaminants
Le radon n’est pas le seul polluant de l’air intérieur influencé par l’augmentation de l’étanchéité des maisons : les concentrations de composés organiques volatils (COV) et d’autres contaminants peuvent également s’accroître à la suite de rénovations. Selon une revue des études sur la qualité de l’air intérieur et les réaménagements écoénergétiques menée par Fisk et ses collaborateurs (2020), le radon était le polluant dont le taux mesuré présentait l’augmentation la plus manifeste et la plus constante après des réaménagements, mais d’autres paramètres de la QAI, comme les concentrations de formaldéhyde, pouvaient aussi être influencés. Les problèmes de moisissures peuvent aussi augmenter si aucune stratégie de contrôle de l’humidité intérieure n’est appliquée durant les réaménagements.
On doit penser à établir un équilibre entre la santé humaine et les objectifs climatiques
Les gouvernements canadiens promeuvent de plus en plus les réaménagements écoénergétiques auprès des propriétaires en organisant des campagnes de sensibilisation ou en offrant des subventions. Ces efforts sont importants pour inciter les résidents à économiser de l’argent et à lutter contre le changement climatique. Mais il est aussi maintenant temps de commencer à parler de qualité de l’air intérieur, et surtout des contaminants comme le radon qui sont influencés par les réaménagements et autres efforts en matière de durabilité. Selon des analyses effectuées par la BC Lung Foundation, les concentrations de radon n’étaient pas abordées dans la plupart des programmes d’efficacité énergétique du Canada. Il est particulièrement urgent de soulever le problème du radon lié aux rénovations écoénergétiques, car de nombreuses régions du Canada ont des concentrations de radon élevées.
Des changements se produisent dans d’autres régions du monde concernant le lien qui existe entre certaines répercussions sur la santé dues à l’exposition accrue au radon et à d’autres contaminants affectant l’air intérieur et l’étanchement des maisons dans le but d’améliorer l’efficacité énergétique. Certains programmes de subvention européens établissent maintenant un lien entre le radon et les rénovations écoénergétiques, comme le Radon-Handbuch de l’Allemagne. En 2021, l’Environmental Protection Agency a publié son guide Energy Savings Plus Health, qui considère le radon comme un contaminant préoccupant lors de la réalisation de rénovations écoénergétiques. Le guide promeut la vérification des taux de radon avant et après les réaménagements et l’adoption des mesures de précaution proposées par le département de l’Énergie des États-Unis dans son étude, en particulier l’ajout d’options de ventilation équilibrée ou non qui n’accroissent pas les concentrations de radon. Il indique aussi clairement que les réaménagements écoénergétiques ne doivent pas remplacer l’installation de systèmes d’atténuation du radon et que les aires de vie commune ou de repos des sous-sols sont plus susceptibles d’être affectées par une hausse des taux de radon.
Il s’est écoulé quarante ans depuis qu’on a découvert que les efforts en matière d’efficacité énergétique pouvaient augmenter les taux de radon à l’intérieur des bâtiments. Les professionnels de la santé publique canadiens peuvent améliorer la situation en favorisant la prise en compte de la qualité de l’air intérieur dans le cadre de programmes d’efficacité énergétique, en particulier ceux qui proposent des subventions et des incitatifs financiers pour la réalisation de rénovations. Ils peuvent aussi sensibiliser les professionnels du bâtiment au problème du radon présent après des rénovations et continuer à encourager les tests de détection du radon dans toutes les maisons, peu importe l’âge de la propriété ou son état. La vérification des concentrations de radon et leur atténuation constituent le meilleur moyen de réduire la morbidité et la mortalité associées à l’exposition au radon à l’intérieur au fil du temps.
Révision par : Kelley Bush (SC), Pawel Mekarski (SC) et Noah Quastel (BC Lung)
Auteur
Anne-Marie Nicol est spécialiste en application des connaissances scientifiques au CCNSE