La location de piscines résidentielles : les risques de santé publique environnementale associés
En 2018, une entreprise en démarrage californienne a conçu un site Web permettant à la population de louer des piscines résidentielles privées. Le concept est semblable à celui d’autres types de location à court terme : des propriétaires mettent leur piscine à louer au taux qui leur convient, et les utilisateurs du site Web la réservent pour la période de temps voulue. Le site est actuellement utilisé aux États-Unis, en Australie et au Canada. Chez nos voisins du Sud, il compte plus de 250 000 utilisateurs et propose plus de 10 000 piscines à louer.
Au moment d’écrire ces lignes, il y a plus de 40 piscines privées canadiennes à louer à Toronto, à Mississauga, à Kitchener-Waterloo, à Ottawa et à Vancouver, et il semble que ce nombre soit en hausse. La pandémie de COVID-19 a poussé de nombreuses piscines publiques à fermer ou à fonctionner à capacité réduite, ce qui a compliqué la réservation d’heures de natation pour beaucoup de personnes et leur famille. Si la location de piscines résidentielles intéresse la communauté, c’est en outre parce qu’il s’agit d’un moyen économique d’organiser des événements. Cependant, cela signifie aussi qu’il y aura plus de personnes qu’à l’habitude dans les piscines résidentielles, ce qui soulève certaines préoccupations de santé publique.
Considérations de santé publique relatives à la location de piscines résidentielles
L’idée de louer une piscine résidentielle peut sembler attrayante du point de vue financier et pour des raisons de commodité. Les propriétaires et les personnes qui louent une piscine doivent toutefois être au fait des considérations de santé et de sécurité. Au Canada, ces locations passent par des ententes informelles et non réglementées qui sont actuellement peu ou pas du tout surveillées. Parmi les préoccupations soulevées se trouvent les risques de maladies transmises par les eaux de baignade et d’autres problèmes de sécurité (comme la noyade et les blessures) dont les propriétaires de piscine peuvent être tenus responsables.
Maladies transmises par les eaux de baignade (MTEB)
Contrairement aux exploitants de piscines publiques, qui sont formés en désinfection de l’eau, les propriétaires de piscine privée peuvent ne pas connaître les bonnes façons de maintenir la chimie de l’eau. Le fait de nager dans de l’eau de mauvaise qualité peut faire considérablement augmenter le risque de maladies, l’une des MTEB les plus courantes étant la maladie gastro-intestinale aiguë. Entre 2015 et 2019, 208 éclosions associées à des eaux de baignade traitées ont été signalées aux Centers for Disease Control and Prevention des États‑Unis.
Le chlore et le pH jouent un rôle important dans l’élimination des bactéries à l’origine de la maladie gastro-intestinale aiguë; ils doivent donc être correctement maintenus en tout temps pour réduire le risque d’infection chez les baigneurs. Le taux de chlore d’une piscine peut toutefois être difficile à maintenir, car son équilibre peut dépendre de l’exposition aux rayons UV et de facteurs environnementaux (p. ex., terre) et organiques (p. ex., quantité de saleté, de peau, de débris et de matières fécales provenant du corps des baigneurs), qui peuvent faire augmenter les besoins en chlore. Par conséquent, les propriétaires doivent ajouter plus de chlore pour compenser l’augmentation du nombre de baigneurs. Les propriétaires de piscine résidentielle ne savent pas toujours comment maintenir un taux adéquat quand le nombre d’utilisateurs est plus grand qu’à l’habitude, comme c’est le cas lorsque de grands groupes de personnes louent leur piscine. Il est important ici de connaître la quantité de chlore nécessaire en fonction du nombre de baigneurs et d’appliquer les bonnes techniques de correction de la qualité de l’eau.
Les propriétaires de piscine doivent aussi savoir comment modifier le taux de chlore pour veiller à la sécurité en situation de location. L’ajout manuel de chlore, qui est la méthode classique de désinfection employée par les propriétaires de piscine résidentielle, peut facilement donner lieu à un taux trop haut ou trop bas. Ayant une connaissance généralement limitée des besoins en chlore, les propriétaires de piscine résidentielle peuvent avoir de la difficulté à s’adapter au nombre variable de baigneurs découlant entre autres des ententes de location.
Certaines ententes de locations donnent accès à des installations sanitaires, mais pas toutes. Lorsqu’il n’y a aucun accès à des toilettes, les personnes qui louent une piscine peuvent déféquer ou uriner à l’intérieur ou à proximité de celle-ci, ce qui crée des conditions insalubres et augmente le risque de MTEB.
Noyade et blessures
La plupart des provinces et des territoires ont adopté des règlements et des lignes directrices qui exigent l’installation de dispositifs de sécurité importants (p. ex., dispositifs de verrouillage automatique) et la présence de sauveteurs et d’équipement de sauvetage. L’absence de supervision et d’équipement de sauvetage adéquat constitue un facteur de risque environnemental qui accroît le risque de noyade et de décès. Contrairement aux exploitants de piscines publiques, les propriétaires de piscine privée n’ont pas, selon la loi, à disposer d’équipement de sauvetage ou à surveiller leur piscine, qui peut aussi être exempte d’éléments permettant de diminuer le risque de noyade et de blessures (p. ex., rampes, surfaces antidérapantes). La Société de sauvetage de l’Ontario a élaboré des directives portant sur les priorités en matière de sécurité pour les piscines résidentielles privées, mais elles ne s’appliquent pas à la location de piscines privées.
La consommation d’alcool et de drogue peut aussi influencer le risque de noyade dans les piscines privées. Au Canada, entre 2011 et 2015, l’alcool était impliqué ou soupçonné dans 39 % des cas de noyade chez les personnes de 15 à 24 ans et dans 41 % des cas chez les personnes de 45 ans et plus. Si la plupart des piscines publiques interdisent la consommation d’alcool, ce n’est pas toujours le cas des piscines privées. Certaines personnes qui louent une piscine peuvent souhaiter y organiser une fête où de l’alcool pourrait être consommé et où il n’y aurait ni surveillance ni mesures de sécurité.
Plaintes liées au bruit et aux règlements
Parmi les autres considérations de santé publique se trouvent le bruit excessif, l’ivresse, l’inconduite et le stationnement sur rue illégal. Les propriétaires de piscine ne peuvent généralement pas décider à quoi servira la location. Dans le cas où un groupe de personnes loue une piscine pour y organiser une fête, il pourrait y avoir du bruit excessif, ce qui constituerait une nuisance pour le voisinage. Certaines régions ont mis en place des règlements sur le bruit, mais ces derniers comportent des ambiguïtés qui compliquent souvent la résolution des problèmes de bruit associé aux fêtes privées autour d’une piscine.
La location de piscines privées présente un risque supplémentaire pour les propriétaires, qui voient leur responsabilité augmenter. Si un baigneur glisse, trébuche ou tombe et se blesse, le propriétaire peut être tenu responsable et poursuivi par le blessé. Bien que le site Web de location de piscines offre jusqu’à 1 million de dollars en assurance responsabilité civile pour les hôtes, cette assurance ne s’applique pas aux hôtes canadiens. Il existe également des limites à cette assurance pour les hôtes américains, ce qui fait qu’un baigneur blessé pourrait tout de même poursuivre le propriétaire de la piscine. La plupart des polices d’assurance des propriétaires occupants courantes ne couvrent pas l’utilisation « commerciale » d’une maison, comme dans le cas de la location d’une piscine privée.
Réponses de diverses administrations
Plusieurs villes et États des États-Unis ont interdit la location de piscines résidentielles. C’est notamment le cas à New York, où le règlement sanitaire interdit ce type de location et prévoit une amende maximale de deux mille dollars américains pour les contrevenants. Même si un propriétaire de piscine privée permet à une personne d’utiliser celle-ci gratuitement, il viole tout de même le règlement. Le canton d’Howell, au New Jersey, a récemment mis à jour son règlement pour interdire la location de piscines privées. Le département de l’Agriculture, du Commerce et de la Protection des consommateurs du Wisconsin a quant à lui arrêté de réglementer la location de piscines en raison des pressions exercées par le secteur privé.
Un premier examen révèle qu’il n’existe aucune loi canadienne relative à la location de piscines résidentielles. Si de nombreuses villes, dont Toronto, Ottawa et Vancouver ont établi des règlements pour la location à court terme, ceux-ci visent seulement les habitations. Les conseillers de Mississauga et de Toronto ont discuté publiquement de leur intention de réglementer la location de piscines résidentielles, mais aucun règlement n’a été adopté à ce jour.
Résumé et recommandations
Au Canada, la location de piscines privées est une nouvelle tendance qui ne semble pas s’essouffler. Si certaines personnes trouvent l’idée intéressante, l’accès public à ces piscines présente des risques pour la santé et la sécurité. Voici les principaux problèmes relatifs à leur location :
- Manque de connaissances sur la correction du taux de produits chimiques dans l’eau et sur le maintien d’une chimie adéquate lorsque le nombre de baigneurs et l’utilisation prévue de la piscine changent;
- Absence d’équipement et de mesures de sécurité sur le terrain;
- Manque de supervision ou mauvaise gestion du comportement des utilisateurs, ce qui peut accroître le risque de blessures.
Même si les piscines sont une excellente façon de promouvoir l’exercice et les loisirs, la location de piscines privées présente des risques pour la santé et la sécurité. Les difficultés rencontrées par les propriétaires de piscine en matière d’assainissement de l’eau peuvent entraîner une augmentation du nombre de MTEB, d’éclosions communautaires et de plaintes devant possiblement faire l’objet d’un suivi par des professionnels de santé publique environnementale.
Le Canada n’a actuellement aucune loi et aucun règlement en place concernant la location de piscines privées. Compte tenu de la surveillance minimale et des répercussions potentielles associées à cette nouvelle tendance, les professionnels de santé publique environnementale devraient non seulement communiquer les risques et sensibiliser la population à ces derniers, mais aussi envisager de faire pression sur les gouvernements pour influencer les politiques qui régissent la location de piscines privées. À long terme, pour protéger la santé et la sécurité publiques, il pourrait être nécessaire de réglementer la location des piscines privées de la même façon qu’on réglemente d’autres locations à court terme.
Auteure
Christy Lalonde en est à sa quatrième année d’études au baccalauréat en santé publique environnementale du Conestoga College, en Ontario. Déterminée à améliorer la santé des communautés, elle a travaillé comme inspectrice stagiaire pour son bureau de santé publique local.
Christy tient à remercier sincèrement sa professeure Wendy Pons, Ph. D.
Citation
Lalonde, C. La location de piscines résidentielles : les risques de santé publique environnementale associés [blog]. Vancouver, C.-B.: Centre de collaboration nationale en santé environnementale; 17 janvier 2022. Disponible sur: https://ccnse.ca/content/blog/la-location-de-piscines-residentielles-les-risques-de-sante-publique-environnementale.