Il est temps de penser aux villes du quart d’heure pour la santé et l’équité

La plupart des villes d’Amérique du Nord ont été construites pour la voiture, ce qui cause un étalement urbain augmentant le temps de déplacement. Au cours des dernières décennies, les villes ont commencé à se transformer et à devenir plus compactes afin d’offrir aux résidents des options de transport actif qui sont plus durables et qui favorisent la santé physique et mentale. La ville du quart d’heure est un modèle de communauté compacte où l’on peut se rendre sans automobile à tous les services essentiels, comme le travail, l’école, l’épicerie, les services de garde et les services de santé, en seulement 15 minutes à partir de chez soi.
Ce concept a pris de l’importance pendant la pandémie de COVID-19. Comme de nombreuses personnes travaillaient à domicile et réduisaient leurs sorties en raison des mesures de santé publique (p. ex. les confinements), les services de quartier sont devenus importants. On a de plus en plus privilégié les achats locaux pour se procurer des produits essentiels, tout comme le transport actif, qui a connu une croissance, ainsi que les programmes de rues lentes ou fermées et les pistes cyclables temporaires. Avec le passage au travail à la maison, et la découverte de leur propre quartier, certains résidents pourraient continuer de privilégier la vie locale.
Les communautés compactes ont des avantages intéressants, mais si elles n’offrent pas un accès équitable aux services, les villes du quart d’heure pourraient s’avérer inéquitables pour les quartiers mal desservis. Les quartiers n’ont pas tous bénéficié d’améliorations relatives à l’état des rues ou à l’accès aux produits essentiels pendant la pandémie. Seulement 20 % de la population canadienne vit proche d’un quartier à « forte densité de services et de commodités » (c.-à-d. emplois, épiceries, écoles, transport en commun). Dans une grande partie du Canada, les services sont géographiquement dispersés et nécessitent donc un transport et un temps de déplacement, ce qui en limite l’accès aux personnes qui n’on peut-être pas les moyens ou la capacité physique de se déplacer. Comme la proximité peut être un facteur de retombées socioéconomiques pour les résidents et les entreprises, les disparités dans l’accès aux services doivent être prises en considération.
Définition de la ville du quart d’heure
La ville du quart d’heure, concept élaboré en 2016 par le professeur et urbaniste Carlos Moreno, identifie six fonctions sociales essentielles qui surviennent proche du domicile : habiter, travailler, s’approvisionner, se soigner, apprendre et s’épanouir. Les concepts de base ne sont pas nouveaux, mais ils fournissent un modèle de chrono-urbanisme qui tient compte des deux composantes essentielles de la vie urbaine : le temps et l’espace. En gros, le temps économisé dans les déplacements nécessaires aux fonctions sociales peut être optimisé pour d’autres priorités.
Les quatre principes directeurs de la ville du quart d’heure sont les suivants :
- Proximité – Installations pour les fonctions sociales accessibles en 15 minutes par transport actif.
- Densité – Nombre optimal d’individus pouvant favoriser la diversité des services dans une zone donnée.
- Diversité – Utilisation polyvalente du sol pour les résidences, les commerces et les divertissements, avec des cultures et des personnes diversifiées. Options de logement adaptées aux différentes situations socioéconomiques et qui permettent aux résidents de vivre plus près du travail ou de travailler à la maison.
- Ubiquité – Divers services accessibles et abordables dans tous les quartiers
Afin de favoriser la proximité dans la ville du quart d’heure, on recommande de faire un usage multiple de chaque mètre carré de terrain bâti. Les cours d’école peuvent également servir de parcs de quartier en dehors des heures de classe et les établissements scolaires, de centres communautaires en soirée. Toutefois, ce changement fonctionnel d’une propriété soulève la question de la santé environnementale. Par exemple, si les écoles sont utilisées le soir, les infrastructures de soutien telles que l’éclairage de nuit et les systèmes de CVCA devront rester en marche après les heures de classe.
Le sondage City Pulse de 2021, mené auprès des habitants de dix villes, a révélé que, dans une grande ville, les gens préfèrent les quartiers bien configurés, les possibilités d’emploi intéressantes et les options de transport multimodal. Les villes qui semblent trop grandes et trop animées, et dont les logements sont hors de prix, poussent les habitants à déménager vers des villes plus petites et des banlieues. Le concept de la ville du quart d’heure peut offrir les avantages que de nombreuses personnes recherchent dans les villes plus petites. Au Canada, l’exode vers la banlieue pendant la pandémie peut également entraîner une hausse de la demande pour les carrefours de services plus petits dans les quartiers, comme dans le modèle de la ville du quart d’heure.
Avantages de la ville du quart d’heure
La ville du quart d’heure offre de nombreux avantages qui peuvent avoir une influence sur la santé, la vie sociale, l’économie et l’écologie. En voici quelques-uns :
- Augmentation de l’activité physique grâce aux options de transport actif, ce qui favorise une bonne santé et la prévention de maladies chroniques.
- Liens sociaux accrus puisque les habitants sont plus susceptibles de connaître leurs voisins, de faire confiance aux autres et de participer à la vie communautaire.
- Amélioration de la sécurité routière et réduction des blessures grâce à des trottoirs mieux adaptés aux piétons et à la réduction de la vitesse de circulation. Amélioration de l’autonomie des personnes âgées, des enfants et des personnes en situation de handicap si les aménagements sont conçus dans une optique d’inclusion.
- Amélioration de la qualité de vie dans le quartier grâce à l’accès facilité aux services et au transport public dans les quartiers polyvalents.
- Augmentation de l’activité économique dans les quartiers polyvalents.
- Amélioration de l’écologie grâce à la réduction de l’utilisation des véhicules, ce qui réduit également les émissions de carbone et améliore la qualité de l’air.
Avec Paris en premier plan depuis 2019, la ville du quart d’heure est devenue un modèle mondial avec certains objectifs communs comme l’installation de pistes cyclables sur chaque rue et pont, le changement d’utilisation des infrastructures en dehors des heures de pointe et l’augmentation des espaces de bureaux dans les quartiers. Vancouver (Canada) a prévu les aspects de la ville du quart d’heure depuis les années 1970 en ravivant son centre-ville, notamment en y doublant la population et en ajoutant des écoles et des lieux culturels dans les quartiers. Le tableau 1 présente quelques exemples de villes canadiennes qui ont intégré le modèle de la ville du quart d’heure dans leurs plans officiels :
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Modèle de la ville du quart d’heure |
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Districts du quart d’heure
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Modèle de la ville du quart d’heure compris dans le plan de bien-être dans la communauté
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Tableau 1 – Adaptation du modèle de la ville du quart d’heure dans certaines villes canadiennes
Il peut être difficile de modifier les infrastructures existantes sans l’utilisation massive de ressources. De nombreuses villes devront peut-être adapter les avantages du modèle à ce qui est réalisable avec leur situation géographique; par exemple, les plans des villes d’Ottawa et d’Edmonton montrent l’adaptation du modèle de la ville du quart d’heure aux banlieues et aux zones rurales.
Facteurs à prendre en considération dans la planification de la ville du quart d’heure
Bien que la ville du quart d’heure ait pour but d’être inclusive et accessible, il peut y avoir certains problèmes d’inégalité. En voici quelques-uns :
- Applicabilité aux banlieues et aux zones rurales – La ville du quart d’heure est un concept créé pour les villes européennes adaptées aux piétons. L’étalement des banlieues des villes nord-américaines complique la mise en œuvre de ce modèle. Il est possible que les petites communautés disposent d’un financement limité pour les effectuer les changements.
- Embourgeoisement – L’établissement de quartiers piétonniers peut entraîner une augmentation du prix des logements, pousser les populations les plus pauvres à quitter les quartiers embourgeoisés et susciter l’opposition des résidents craignant l’exil.
- Quartiers isolés – Les villes nord-américaines ont été créées dans un contexte de ségrégation à l’époque coloniale. Il est possible que les communautés marginalisées soient pauvres, non sécuritaires et dépourvues de services intéressants. Il est également possible de prioriser le changement dans ces quartiers.
- Accessibilité – Les personnes ayant des habiletés différentes n’ont peut-être pas les moyens de vivre dans des communautés compactes, surtout si elles ont un revenu limité. Lorsque les communautés compactes sont construites, il est possible qu’elles manquent de caractéristiques d’accessibilité, comme les haltes, les signaux auditifs pour les passages piétons et les trottoirs larges.
- Qualité de l’expérience piétonne – Lorsque l’on aménage des quartiers dans une ville du quart d’heure, la qualité de l’expérience piétonne est importante. Si cette dernière n’est pas à la hauteur, il se peut que le quartier ne soit pas invitant ou sécuritaire pour les personnes qui y circulent à pied ou à vélo, ce qui peut les pousser à utiliser leur voiture.
Contribution de la santé publique à la planification de la ville du quart d’heure
Alors que les professionnels de la santé publique environnementale entreprennent de plus en plus de projets relatifs à l’environnement bâti, la connaissance de la ville du quart d’heure peut être utile si les dirigeants planifient de bâtir de telles communautés. En vue de promouvoir et de protéger la santé dans le contexte de la conception et de la planification d’une communauté plus dense, les autorités de santé publique peuvent faire entendre leurs voix en faveur d’une planification inclusive et de la prise en compte des questions de santé environnementale. Elles peuvent également fournir des données probantes sur la santé, promouvoir les avantages pour celle-ci et défendre l’équité en santé dans les communautés compactes auprès des aménageurs et des décideurs pour éclairer la prise de décision et l’examen des plans principaux.
- Se référer aux exemples de participation inclusive à la vie de la collectivité, comme l’East Scarborough Storefront.
- Informer les décideurs sur les capacités de la santé publique à transmettre des connaissances localisées sur les disparités en santé et les profils de santé des communautés.
- Collaborer en matière de salubrité des aliments et de sécurité alimentaire dans le système alimentaire des communautés compactes.
- Fournir des conseils sur la gestion des déchets à l’échelle des résidences et de l’ensemble du quartier en tenant compte de l’écologie.
- Fournir une éducation concernant les effets sur la santé des contaminants environnementaux potentiels, comme l’eau, le sol, l’air, le radon et les insectes et animaux nuisibles dans les quartiers plus exposés à ces risques.
- Donner des conseils sur la gestion des eaux pluviales et fournir une éducation sur la qualité de l’air dans le quartier, notamment en raison de la fréquence croissante des phénomènes météorologiques violents causés par le changement climatique.
Le concept de la ville du quart d’heure peut offrir des avantages pouvant améliorer la qualité de vie, réduire l’empreinte carbone, ainsi que promouvoir la santé et l’équité en santé. Faire participer les populations locales mal desservies aux efforts de planification peut contribuer à répondre aux préoccupations d’équité. En reconnaissant également que l’on peut utiliser les espaces de plus d’une façon, le modèle de la ville du quart d’heure permet de créer une communauté plus agréable et accessible pour tous.
Outils et ressources
- Trousse d’outils pour l’établissement de liens à des fins d’environnement bâti sain
- City
- Planification et santé communautaire : le manuel du praticien
Remerciements : Un grand merci à Pam Moore d’avoir contribué à faire le lien entre la santé publique environnementale et un environnement bâti sain. (Voir le billet de blogue de Pam pour le CCNSE : Créer des endroits et des espaces communautaires sains avec des personnes aux habiletés différentes)
Auteur
Anna Chow était spécialiste en application des connaissances scientifiques au CCNSE.
Citation
Chow A. Il est temps de penser aux villes du quart d’heure pour la santé et l’équité [blog]. Vancouver, C.-B.: Centre de collaboration nationale en santé environnementale; 14 février 2022. Disponible sur: https://ccnse.ca/content/blog/il-est-temps-de-penser-aux-villes-du-quart-dheure-pour-la-sante-et-lequite.