L’importance des enquêtes collaboratives sur les éclosions de maladies d’origine alimentaire
Bien que la source de certaines éclosions de maladies d’origine alimentaire (MOA) soit locale et facile à contenir, les systèmes alimentaires à l’échelle mondiale et le commerce en ligne contribuent à des éclosions bien plus importantes et complexes, sur lesquelles il peut être ardu d’enquêter. Ces complexités entraînent des défis sur le plan de la détection, du processus d’enquête et de la maîtrise des éclosions de MOA, qui exigent une meilleure coordination des équipes interdisciplinaires.
Notre billet de blogue explore l’importance de l’approche collaborative adoptée au Canada dans le cadre d’enquêtes sur des éclosions de MOA, le potentiel du séquençage complet du génome (WGS) pour permettre une détection précoce et une clarté accrue des liens et de l’attribution des sources ainsi que le rôle majeur des professionnels de la santé publique environnementale (PSPE) et les difficultés actuelles.
Le séquençage complet du génome comme outil pour améliorer les enquêtes sur les éclosions de maladies d’origine alimentaire
Les avancées technologiques, et particulièrement le séquençage complet du génome (WGS), ont transformé le paysage des enquêtes sur les éclosions de MOA. Grâce au WGS, on peut déterminer la parenté génétique en comparant des séquences génétiques, ce qui laisse croire que les isolats qui partagent davantage de séquences génétiques sont plus apparentés. Les enquêteurs doivent vérifier si les résultats du WGS sont justes sur le plan épidémiologique en formant des ensembles selon le temps, le lieu géographique, l’anamnèse alimentaire et l’exposition. Le WGS procure plusieurs avantages par rapport aux méthodes traditionnelles en laboratoire, notamment une détection précoce à partir de moins de matériel génétique pathogène, une clarté accrue des liens et une meilleure attribution des sources. De plus, le WGS permet, par une seule méthode d’analyse rapide et économique, de séquencer des génomes entiers, d’identifier des agents pathogènes et de les caractériser (p. ex., typage de la résistance aux antimicrobiens [RAM], profil de virulence). Enfin, en utilisant des bases de données ouvertes pour transmettre en temps réel des données globales sur les isolats d’agents pathogènes, on améliore la détection et le processus d’enquête lors d’éclosions multirégionales, comme l’a démontré la récente enquête sur le cas des cantaloups.
Le rôle des PSPE lors d’interventions collaboratives en cas d’éclosion de maladies d’origine alimentaire
Au Canada, les enquêtes sur les flambées de MOA doivent être menées par de grandes équipes interdisciplinaires pour retracer les cas et les sources courantes d’exposition, isoler les agents pathogènes, contenir la flambée et communiquer les résultats obtenus aux partenaires de la santé et au public. Le degré de collaboration peut varier selon la complexité de l’éclosion, allant d’une échelle locale à une échelle internationale. Les compétences spécialisées en matière d’épidémiologie, d’enquête, de santé environnementale et de communication des risques des PSPE leur confèrent un rôle central dans les enquêtes sur les éclosions de MOA. Ils doivent notamment mener les évaluations environnementales dans les installations alimentaires et les entretiens avec les personnes touchées et le personnel de l’alimentation ainsi que collaborer avec les épidémiologistes, le personnel en laboratoire et d’autres professionnels de la santé publique pour déterminer les causes d’éclosion et mettre en œuvre les mesures de maîtrise. Les PSPE réunissent une connaissance contextuelle et une compréhension uniques des communautés locales et des établissements alimentaires touchés par l’éclosion. Les incidents récents impliquant la bactérie Escherichia coli dans des garderies de Calgary et la bactérie Salmonella dans des cantaloups mettent en lumière la nature collaborative des enquêtes sur les éclosions de MOA et les rôles des PSPE. Les deux incidents ont demandé une mobilisation rapide et efficace de ressources humaines et matérielles pour lancer les communications, établir les protocoles collaboratifs, notamment la question « qui fait quoi », et mener l’enquête avec un système clair de communication des nouvelles informations. Les PSPE ont appliqué leur expertise dans le cadre des enquêtes, des évaluations environnementales, de la collecte d’échantillons, de la communication des risques et de la mise en œuvre de mesures de maîtrise au cours des deux éclosions.
Compétences des PSPE lors d’enquêtes sur les éclosions de maladies d’origine alimentaire
Une étude récente a permis de définir plusieurs compétences centrales des PSPE lors d’enquêtes sur les éclosions de maladies d’origine alimentaire, notamment des compétences d’enquêtes, d’évaluation environnementale, d’entretien, de pensée critique, et de méthode de mise en œuvre et d’application progressive des mesures de maîtrise. On a ciblé le développement de compétences en évaluation environnementale et en entretien comme étant de la plus haute importance. L’acquisition d’expérience peut se révéler difficile pour les PSPE débutants, en raison du caractère sporadique des éclosions de MOA, particulièrement pour les autorités de santé de plus petite taille. Qui plus est, la perte d’expérience organisationnelle en raison du roulement de personnel lié aux départs à la retraite et à la COVID-19 pourrait avoir accentué les ratés dans les interventions en cas d’éclosion.
Difficultés actuelles lors d’interventions en cas d’éclosions de MOA
Malgré l’utilisation d’approches collaboratives lors d’enquêtes sur des éclosions de MOA, des difficultés peuvent persister. Citons 1) le cloisonnement de l’information et les structures organisationnelles, 2) la collecte et la standardisation de données, 3) les sources de données conflictuelles, 4) les connaissances et l’utilisation des ressources sur les éclosions, et 5) la diffusion des connaissances et des expériences.
- Cloisonnement de l’information et structure de santé publique
Une collaboration et une communication efficaces entre les autorités de santé publique, l’industrie et les autres partenaires sont essentielles pour la détection et l’intervention dans le cadre d’éclosions de maladies d’origine alimentaire. Les différences entre les autorités de la santé, et même entre ordres de gouvernement et bureaux de santé voisins, dans les approches et les attentes ont aussi été mentionnées comme un problème important de coordination. En particulier, le cloisonnement de l’information au sein des autorités de santé et entre elles peut nuire aux communications et à la coordination lors d’enquêtes sur les éclosions de MOA. Les principes de gestion de projet, notamment l’utilisation d’une matrice des responsabilités (p. ex., tableau RACI), peuvent aider à maintenir des communications efficaces au sein des autorités de santé ainsi qu’entre elles pendant les enquêtes sur des éclosions de MOA. - Collecte et standardisation des données
Il n’y a actuellement pas de standardisation dans les méthodes utilisées pour détecter, enquêter et intervenir en cas d’éclosion de maladies d’origine alimentaire. Ce manque de standardisation peut aussi nuire à la collecte et à la diffusion rapide des données, ralentissant ainsi l’intervention pour gérer l’éclosion et entravant la mise en œuvre des mesures de maîtrise. Santé publique Ontario a récemment publié un guide technique, Considérations relatives aux enquêtes sur la salubrité des aliments lors d’une éclosion dans les dépôts d’aliments, qui fait la promotion auprès des PSPE d’approches normalisées pour les visites d’établissements alimentaires lors d’enquêtes sur des éclosions de MOA. - Rapprochement des sources de données conflictuelles
Un des défis intéressants soulevés lors des entretiens avec les intervenants clés est la juxtaposition des données environnementales, épidémiologiques et de laboratoires qui peut avoir lieu dans le cadre d’une enquête. Malgré l’existence de publications comme Poids de la preuve : Facteurs à considérer pour la prise de mesures appropriées et en temps opportun dans une situation d’enquête sur une éclosion de maladie d’origine alimentaire, les enquêteurs ont remarqué qu’il demeure difficile de comparer différentes sources de données et de déterminer la quantité de données probantes nécessaire pour passer à l’action. - Connaissance et utilisation des ressources et modèles relatifs aux éclosions
Dans le cadre d’une étude récente, les participants rapportaient ne pas connaître ou mal connaître les ressources disponibles au sujet des éclosions, dont la Boîte à outils pour les éclosions entériques de l’Agence de la santé publique du Canada, et disaient utiliser plutôt des documents d’organismes internes. Cette tendance peut mener à la multiplication des enquêtes et des collectes des données et à des incohérences dans leur interprétation, et en fin de compte, à l’adoption d’approches d’intervention différentes en cas d’éclosion de MOA. - Manque de connaissance et d’échange des expériences
Les participants à une étude récente ont rapporté le besoin de diffuser les enseignements tirés d’interventions en cas d’éclosion, particulièrement à l’échelle régionale. Les résumés d’éclosions peuvent servir à diffuser les enseignements tirés et à concevoir des ressources et des formations à l’intention des enquêteurs de la santé publique. Ces synthèses doivent inclure de l’information sur les renseignements de traçage, l’épidémiologie descriptive, les hypothèses et les conclusions de l’enquête, notamment l’inspection, l’évaluation environnementale et les actions réglementaires.
Exemples récents de collaboration et de difficultés rencontrées dans le cadre d’enquêtes sur des éclosions de maladie d’origine alimentaire
La collaboration est le nerf de la guerre d’une enquête efficace. L’établissement de protocoles de diffusion de l’information, la tenue d’exercices formatifs communs et l’adoption d’un cadre de travail unifié sont des éléments clés d’une collaboration réussie. Ces approches garantissent une intervention simplifiée entre différents ordres de gouvernement, menant plus rapidement à la détection et à la maîtrise de l’éclosion.
Éclosion de Salmonella liée à des cantaloups
Lors de la récente éclosion liée à des cantaloups, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) et l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) ont travaillé étroitement avec leurs homologues étatsuniennes et les autorités de santé publique provinciales pour enquêter sur l’éclosion. Des données d’épidémiologie, de laboratoire et de traçage ont montré que des cantaloups avaient été contaminés par des bactéries du genre Salmonella. Le WGS a été utilisé pour lier les cas entre eux et retracer la source de contamination originale. Une analyse génétique a aussi montré que les éclosions de la maladie au Canada et aux États-Unis avaient été causées par la même souche, démontrant là l’importance de la collaboration interagence et internationale.
Éclosion d’E. coli dans des garderies à Calgary
L’éclosion d’E. coli à Calgary (Alberta) en 2023 a mis en lumière certaines des difficultés rencontrées lors d’enquêtes sur des éclosions de MOA, notamment le manque d’échantillons de la nourriture présumément en cause, les tendances émergentes en matière de préparation de nourriture à l’échelle commerciale et de distribution, ainsi que l’utilisation d’une cuisine partagée par de multiples organismes. Des délais peuvent également survenir lors de l’enquête, notamment dans la notification des premiers cas, la collecte et l’analyse d’échantillons de nourriture et de selles, et la communication des informations. Par exemple, les symptômes des infections causées par E. coli se manifestent entre 1 et 10 jours après l’exposition à la bactérie. Cela fait en sorte que les cas ne sont pas rapportés immédiatement; à cela, ajoutons le temps nécessaire à l’interrogation des personnes touchées, et souvent, il est trop tard pour récupérer des échantillons de la source de nourriture présumée lorsque les enquêteurs réalisent l’évaluation environnementale des établissements alimentaires en cause.
Conclusion
Au Canada, le succès des enquêtes sur des éclosions de MOA demande une collaboration continue entre des partenaires clés, à savoir les autorités de santé publique régionales, l’ASPC, l’ACIA, les services de laboratoire, des partenaires internationaux et des acteurs de l’industrie. Les enseignements tirés des autres expériences, l’intégration de technologies innovantes comme le WGS, la diffusion des enseignements tirés et la promotion d’une culture de responsabilité partagée permettront des interventions plus efficaces et rapides en cas d’éclosions de MOA partout au pays. Bien que des difficultés persistent, l’amélioration continue des processus et l’adoption de pratiques exemplaires ouvriront la voie à un système de sécurité sanitaire des aliments plus résilient et plus réactif.
Compte tenu du rôle critique des PSPE dans les enquêtes sur les éclosions, des investissements et du soutien continus seront nécessaires pour assurer leur développement professionnel afin qu’ils acquièrent des compétences et les perfectionnent, particulièrement en ce qui a trait aux enquêtes collaboratives sur les éclosions de MOA, lorsque nécessaire.
Le Centre de collaboration nationale en santé environnementale propose une série de ressources sur la santé publique pour soutenir le développement professionnel, dont une qui s’intitule Enquêtes interdisciplinaires sur les éclosions d’origine alimentaire.
NOTE : Les sujets abordés dans ce billet de blogue viennent complémenter les outils et ressources sur les éclosions existants. En voici quelques-uns :
- La Boîte à outils pour les éclosions entériques de l’Agence de la santé publique du Canada
- Le document Considérations relatives aux enquêtes sur la salubrité des aliments lors d’une éclosion dans les dépôts d’aliments de Santé publique Ontario
- The International Association for Food Protection’s Procedures to Investigate FBI guide, un guide universel sur les éclosions pour les évaluations épidémiologie et en santé environnementale et les enquêtes en laboratoire
- Le Guide de l’inspecteur en santé publique sur les analyses de laboratoire en microbiologie environnementale de l’Ontario, une ressource évolutive conçue par Santé publique Ontario pour promouvoir des pratiques efficaces en matière de santé publique