Les microplastiques au menu : sources alimentaires et exposition humaine

Les plastiques remplissent de nombreuses fonctions essentielles dans la société; légers et peu coûteux, ils ont de multiples applications allant de l’emballage alimentaire aux produits de consommation, en passant par les textiles, les véhicules, les dispositifs de santé, l’équipement de protection individuelle et bien plus encore. Comme la pollution plastique est de plus en plus reconnue comme un problème environnemental grave depuis quelques années, plusieurs réclament des mesures urgentes pour remédier à ses répercussions environnementales. Les connaissances quant aux effets de la pollution plastique sur la santé humaine demeurent toutefois fragmentaires. Ce billet de blogue se penche sur l’une des voies d’exposition : l’ingestion de microplastiques présents dans les aliments et l’eau.
Que sont les microplastiques?
Les microplastiques (MP) sont généralement définis comme des particules de plastique dont la taille ne dépasse pas 5 mm. Ils peuvent être produits intentionnellement pour des activités de fabrication (MP primaires) ou résulter de la fragmentation de plus grands objets en plastique (MP secondaires). Les MP secondaires peuvent provenir de l’usure de pneus, de revêtements, de surfaces artificielles, de la décomposition de déchets de plastique, du détachement des fibres des vêtements et des textiles, et de cosmétiques ou de produits de soins personnels. Les particules faisant moins de 100 nm sont considérées comme des nanoplastiques. Les MP peuvent prendre diverses formes (fibres fines ou fragments, pastilles ou pellicules de divers types de polymères), ce qui peut avoir une incidence sur leur dispersion dans l’environnement ou le corps humain.
Où se trouvent les MP dans l’environnement?
Des îles Galápagos à l’Arctique canadien, les MP sont maintenant omniprésents dans l’environnement. On les retrouve dans les sols, l’eau, l’air et la faune. Les sols, surtout les routes (usure des pneus et marques sur la chaussée), sont le puits le plus important pour les MP. Parmi les autres sources se trouvent l’élimination des déchets et l’épandage de boue d’eaux usées. Les cours d’eau représentent le deuxième puits; les eaux usées, les déchets marins et le ruissellement provenant des routes et des terres constituent des apports directs. L’air est aussi l’un des puits principaux pour les MP, les routes étant encore une fois le plus grand contributeur. Les courants océaniques et atmosphériques transportent les MP partout dans le monde. (Voir l’Ébauche d’évaluation scientifique de la pollution plastique pour en savoir plus sur les sources, l’évolution et la présence des plastiques dans l’environnement.)
Voies de contamination des aliments et de l’eau aux MP
Comme des puits importants pour les MP se trouvent dans les sols, les océans et l’air, les aliments peuvent être contaminés par les plastiques de nombreuses manières :
- Absorption directe par des animaux destinés à l’alimentation de sources environnementales;
- Dépôt sur une surface de contact alimentaire, dont les cultures vivrières;
- Contamination environnementale de matières premières comme l’eau ou le sel;
- Dépôt sur de l’équipement ou des surfaces de transformation des aliments;
- Dépôt de poussière sur des aliments en magasin ou à domicile;
- Rejet provenant de matériaux de plastique entrant en contact avec les aliments (emballages, ustensiles, surfaces), surtout après le réchauffement ou des actions mécaniques (p. ex., couper, secouer ou ouvrir des emballages).
La contamination peut donc se produire à plusieurs étapes, de la récolte d’aliments à la fabrication, en passant par l’emballage, la préparation des aliments par les consommateurs et les repas.
Détection des MP dans l’eau et les aliments
Si des MP ont été détectés dans une vaste gamme d’aliments et de boissons, la plupart des études sont axées sur les produits de la mer et l’eau potable. Un récent rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) sur la pollution plastique mondiale ainsi que d’autres revues (p. ex., Jin et coll. 2021, ECCC/SC 2020) ont présenté les niveaux de MP décelés dans divers aliments et boissons, comme le sel, le sucre, les fruits de mer, le poisson, le miel, la bière, l’eau courante et l’eau en bouteille. Quelques études ont également signalé de faibles taux de MP dans les viandes, les produits laitiers, les fruits et légumes et d’autres végétaux comestibles. Tout comme il y a un grand manque de connaissances sur plusieurs types d’aliments et de boissons, il y a des limites à comparer les niveaux de MP entre les études existantes. Certaines études n’indiquent en effet que le nombre total de particules observées au microscope optique, tandis que d’autres emploient la microscopie à balayage pour détecter des particules beaucoup plus petites, dont les nanoplastiques.
Différents types de polymères sont détectés dans les aliments et les boissons. Ils constituent généralement un mélange (polyéthylène téréphtalate [PET], polypropylène, polyéthylène, cellophane, rayonne, polyester, polystyrène, etc.) et présentent des formes et des tailles variées. Les caractéristiques des particules de MP peuvent nous renseigner sur l’origine de ces dernières. Une comparaison des MP dans le sel a fait ressortir des niveaux de MP plus élevés dans le sel marin et le sel lacustre que dans l’halite, ce qui laisse penser que les apports les plus importants proviennent de sources environnementales plutôt que d’activités de fabrication ou d’emballage. Le PET, couramment utilisé dans les bouteilles de plastique, était davantage répandu dans le sel marin, tandis que la cellophane était surtout présente dans le sel lacustre et l’halite; on peut donc croire que différents MP prédominent dans différents environnements.
Les procédés de production peuvent aussi être une source de contamination. Une étude sur les bières de divers fabricants utilisant une même source d’eau présentait des concentrations de MP très différentes, ce qui suggère que la contamination s’est produite dans l’usine de fabrication. Selon une étude sur l’eau potable en bouteille, les niveaux de MP de l’eau prête au débit embouteillée dans des récipients en plastique étaient plus élevés que ceux présents dans les bouteilles en verre de la même usine, ce qui indique que la contamination résultait directement de l’emballage. Des études sur des aliments et des boissons ont aussi permis d’en savoir plus sur les types de particules les plus couramment décelés; les fibres sont souvent les particules les plus répandues dans les produits de la mer (p. ex., les fruits de mer), tandis que les fragments et granulés sont très fréquents dans le sel marin et le sel lacustre. Le fait que différents polymères aient été détectés dans certains fruits de mer laisse penser que l’endroit où ils sont cultivés dans la colonne d’eau peut influencer le type de MP le plus courant, car certains MP flottent près de la surface et d’autres coulent.
Estimer l’exposition cumulée aux MP présents dans les aliments et l’eau
Si les niveaux de MP dans de nombreux types d’aliments sont toujours inconnus, des estimations de l’apport alimentaire annuel ont pu être établies pour certaines sources alimentaires typiques. Comme l’indiquent des études sur les fruits de mer menées en Corée, en Europe et au Royaume-Uni, l’apport peut varier selon la concentration présente dans les sources alimentaires locales et la quantité d’aliments consommés. Le rapport du PNUE a permis de relever des différences dans l’exposition aux MP pour ceux qui boivent de l’eau en bouteille comparativement à ceux qui ne boivent que de l’eau du robinet (p. ex., moins de 90 000 particules contre 4 000 particules par année respectivement). Si l’on se base sur un régime alimentaire américain, l’exposition alimentaire globale aux MP varierait entre 39 000 et 52 000 particules par année. Cette estimation frôle celle de l’exposition annuelle causée par l’inhalation. Selon une étude, l’ingestion de MP provenant du dépôt de poussière ménagère sur les aliments pourrait être de 13 731 à 68 415 particules par personne par année. On peut donc croire que l’exposition à des sources ambiantes est aussi importante que l’exposition à des aliments et boissons. Des études sur la présence de MP dans les selles humaines montrent que les sources non alimentaires peuvent contribuer de manière significative à l’exposition totale. Par exemple, les niveaux et le type de MP détectés dans les selles de participants provenant d’une communauté de pêcheurs et d’une collectivité rurale en Indonésie ne correspondaient pas aux concentrations décelées dans la nourriture et l’eau de la région, ce qui suggère une exposition à d’autres sources (p. ex., l’air, le dentifrice ou les emballages alimentaires). On estime que plus de 90 % des particules ingérées seront excrétées, et que seules les plus petites particules (moins de 150 µm) pourront traverser la paroi intestinale. Il en reste encore beaucoup à apprendre sur le degré d’exposition interne à ces petites particules. (Voir l’Institut national de la recherche scientifique [INRS] pour plus de recherches sur les risques pour la santé liés à l’exposition aux nanoplastiques).
L’exposition a-t-elle des effets sur la santé humaine?
Les préoccupations concernant les effets de l’exposition aux MP sur la santé sont liées aux répercussions physiques potentielles (l’ingestion de petites particules peut causer des lésions ou de l’inflammation), à la toxicité chimique pouvant résulter du mélange de polymères et d’additifs chimiques ou de polluants organiques adsorbés, ou aux effets biologiques de bactéries résistantes ou d’agents pathogènes fixés aux surfaces en plastique. La plupart des études évaluant les effets sur la santé ont été menées sur des animaux; si certains semblaient ne subir aucune conséquence, ce n’était pas le cas de tous (p. ex., l’ingestion de concentrations élevées de polyéthylène a provoqué des changements en matière de flore intestinale, d’inflammation ou de réaction immunitaire chez certaines souris).
Une revue de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture a révélé que les risques pour la santé humaine liés à l’exposition aux MP présents dans les fruits de mer sont faibles, et un rapport de l’Organisation mondiale de la Santé indique qu’il n’y a aucune preuve d’effet néfaste sur la santé lié à la présence de MP dans l’eau potable. Il n’existe aucune étude épidémiologique sur l’ingestion de MP par l’humain. Quelques études ont permis de détecter des MP dans des échantillons prélevés lors de colectomies pratiquées sur des humains et dans des placentas humains, mais aucun effet néfaste sur la santé n’a été observé. Certaines études toxicologiques in vitro sur des cellules humaines montrent des répercussions sur des critères d’évaluation biologiques (p. ex., la cytotoxicité, la réaction immunitaire et le stress oxydatif), mais les réactions varient selon la forme et la taille des MP et la dose appliquée. L’utilisation des études existantes pour définir les effets globaux sur la santé présente certaines limites, car beaucoup n’emploient pas de mélanges et de concentrations de MP qui sont typiques des expositions liées aux aliments. Il est donc difficile d’établir des normes sanitaires pour les MP présents dans les aliments et l’eau, et c’est d’ailleurs pourquoi il n’y en a aucune en vigueur. L’État de la Californie travaille actuellement à l’élaboration des premières normes sanitaires relatives aux MP dans l’eau potable.
Résumé
Les données probantes actuelles font état de l’omniprésence des MP; l’exposition alimentaire est donc probable. Si le public perçoit les MP comme un facteur de risque important pour la santé humaine, on manque actuellement de données probantes sur les répercussions de l’ingestion d’aliments et de boissons sur la santé. Sans efforts considérables à l’échelle mondiale, la quantité de MP dans l’environnement est susceptible d’augmenter au cours des prochaines décennies, ce qui devrait donc aussi être le cas de l’exposition par toutes les voies, dont les aliments et l’eau. Étant donné que l’exposition provenant de sources non alimentaires pourrait être d’autant sinon plus importante, il faudrait réaliser davantage d’études relatives aux effets sur la santé humaine pour évaluer l’importance des sources alimentaires et non alimentaires dans le fardeau cumulatif des MP.
Une caractérisation plus poussée des types de MP présents dans diverses sources alimentaires est nécessaire pour mieux quantifier l’exposition. Il faudrait aussi mener d’autres recherches sur les effets de différents polymères, formes, tailles et mélanges sur la santé. Une bonne connaissance des sources de MP dans le cycle de production alimentaire pourrait aider à déterminer si des interventions allant au-delà de la réduction des déchets de plastique pourraient diminuer l’exposition aux étapes de la récolte, de la fabrication et de la transformation (p. ex., la dépuration des fruits de mer ou un traitement supplémentaire de l’eau potable pour réduire les MP).
(Consulter le Programme scientifique canadien sur les plastiques pour en savoir plus sur les moyens de lutter contre les déchets de plastique et la pollution au Canada.)
Auteur
Juliette O'Keeffe est spécialiste en application des connaissances scientifiques au CCNSE.
Citation
O'Keeffe, J. Les microplastiques au menu : sources alimentaires et exposition humaine [blog]. Vancouver, C.-B.: Centre de collaboration nationale en santé environnementale; 14 février 2022. Disponible sur: https://ccnse.ca/content/blog/les-microplastiques-au-menu-sources-alimentaires-et-exposition-humaine.